par Antoine Boulad dans L'Orient littéraire
2019 - 02
Son écriture qui confirme son efficacité sert le combat qu’elle mène.
Avec son deuxième roman, Roula Azar Douglas approfondit le sillon
qu’elle avait décidé de creuser dans la littérature francophone
libanaise, celui de donner une ampleur aux thèmes récurrents de nos
sociétés contemporaines, de prolonger par des constructions romanesques
qui s’en font les échos convaincants, des faits divers de la vie
quotidienne, réservés habituellement au journalisme.
2019 - 02

La violence domestique – la souffrance d’une femme que la culpabilité
mais aussi les valeurs traditionnelles empêchent d’admettre et de dire à
ses proches qu’elle est victime de son mari – avait été le sujet de son
premier récit. Récidiviste pour le meilleur, Douglas publie aujourd’hui
une histoire subtile, toute en nuances, qui pose de manière
intelligente la problématique de l’euthanasie.
L’histoire débute (et s’achève d’ailleurs) dans une salle d’audience, à
Montréal, le 3 juin 2010. On juge. On vocifère. Noura, douce
Méditerranéenne d’origine libanaise, était une artiste peintre
prometteuse. On accuse son mari, Danny Denunzio, d’avoir interrompu sa
vie radieuse. Une journaliste griffonne nerveusement dans son calepin.
Le Jour où le soleil ne s’est pas levé est celui d’un accident de
voiture, un « cataclysme » qui précipite Noura dans le coma et Danny
dans une expérience à la fois douloureuse et amoureuse, de caractère
tout à fait exceptionnel. Celle du temps tout d’abord qui s’étire à
l’infini, qui s’égrène de plus en plus lentement. « Un mois après
l’accident ». « Deux cents jours après l’accident »… Celle ensuite de
l’interrogation, de l’introspection, des doutes. Le mari apprend que sa
femme lui avait caché, ainsi qu’à ses amies intimes, sa grossesse. Il
découvre ainsi une autre vérité paradoxale : le bonheur de deux êtres ne
dépend pas de la connaissance qu’ils ont l’un de l’autre. Celle de
l’amour enfin. Bien que rentrant, six mois auparavant, d’une Florence
éternelle, d’art et d’amour, c’est auprès du corps inerte de sa femme
que l’homme découvrira à quel point sa vie dépendra de celle de sa
conjointe. « J’ai enlacé son corps, synchronisé ma respiration à la
sienne… Avec elle. Collé à elle. Dans un monde en marge du monde. Je
l’ai caressée, massée, embrassée. Je lui ai parlé du matin jusqu’au
soir. »
Cependant, Noura s’enfonçait dans les couches de plus en plus basses de
sa vie végétative. Et lorsqu’elle succombera, la société qui ne l’entend
pas de cette oreille accusera son mari d’égoïsme. La société dégaine et
tire sur tout ce qui s’aime. Elle réclame la réclusion à perpétuer.
Tuer par amour est tabou. La loi l’interdit. « Ne permettons pas le
meurtre au nom de la compassion. » Mais Danny l’a-t-il vraiment tuée ?
La salle de l’audience est comble. « La question, êtes-vous pour ou
contre l’euthanasie n’est pas pertinente. On devrait la remplacer par :
dans quels cas l’euthanasie devrait être un choix ? » Le jugement de
Danny qui assure sa propre défense attire une foule venue des quatre
coins du Canada. Son plaidoyer est vibrant. « Je suis contre
l’euthanasie lorsque demeure un infime espoir, une toute petite lueur
qu’au bout de l’enfer, il n’y a pas une interminable nuit. Mais lorsque
l’affection est incurable et grave et que la souffrance physique et
psychique est permanente, insupportable, inapaisable, ce que la loi
considère comme un acte criminel peut être un ultime acte d’amour. »
BIBLIOGRAPHIE
Le Jour où le soleil ne s’est pas levé de Roula Azar Douglas, éditions Noir Blanc et Caetera, 2018, 131 p.