La patrie dans le cœur

Un profond sentiment m’a submergée hier, m’a coupé le souffle, m’a fait pleurer. Mélange de fierté, d’amour et de patriotisme. Sentiment singulier de maternité et d’enfance. J’étais simultanément la mère et la fille du soldat libanais. Je meurs d’envie de le protéger, en même temps je veux qu’il me défende .Cette forte émotion a été déclenchée par une publicité à la télévision intitulée : La patrie dans le cœur. On y voit des femmes, des hommes, des enfants, arrêtant toute activité et saluant avec admiration un jeune soldat qui marche dans la rue. Le message est très réussi et très fort. Il m'a permis de réaliser l’ampleur et la force de mes sentiments envers notre armée nationale. Un immense respect pour chaque goutte de sang versée par nos soldats, pour chaque gouttelette de sueur qui perle sur leurs fronts, pour chaque larme qui coule sur leurs visages. Mon respect, mon amour et ma fierté transcendent ces hommes et englobent leurs familles. Je salue leurs mères, leurs pères, leurs épouses, leurs fratries, leurs enfants. Je les remercie. Je les serre contre mon cœur. Ils ont mon support et ma gratitude. Devant les familles éplorées par la perte d’un des leurs, je m’incline. Je me tais. Quelles paroles leur adresser ? Que dire à nos soldats blessés? Des mots impuissants mais très sincères : du fond du cœur, merci.

Roula Azar Douglas

Indépendance et responsabilité

Je ne me rappelle pas d’avoir étudié l’histoire récente du Liban, de manière détaillée et complète, dans un manuel scolaire. Ce qu’on nous apprenait à l’école consistait en une série de grands titres, vaguement abordés, de façon à ne pas érafler la susceptibilité d’une communauté donnée ou d’un groupe politique quelconque. Les mots ambigus choisis avec soin prêtaient à de multiples interprétations. Je ne me souviens d’aucun cours scolaire qui discute des évènements du vingtième siècle antérieurs ou postérieurs à 1943, année de l’indépendance du Liban. Je crains vivement que ce trou dans ma mémoire concernant l’histoire de mon pays, ne soit pas exceptionnel et qu’il ne reflète une lacune similaire dans la mémoire collective des libanais. Celui qui méconnaît son histoire, est condamné à la répéter. Un certain nombre de nos problèmes provient du fait que nous ne sommes pas capables de faire face à notre passé, d’où l’imminent danger de rater notre avenir. En 1922, 1941, 1946, 1958, 1961, 1969, et de 1975 à 1991, qu’est ce qui est réellement arrivé ? Aura –ton un jour une seule version objective, complète, honnête et transparente des faits qui ont marqué notre pays, qui ont forgé sa réalité d’aujourd’hui et qui affectent son avenir ? Mûrir c’est assumer ses responsabilités et affronter la réalité. Il est temps qu’on se débarrasse des tabous concernant l’enseignement de l’histoire contemporaine. Tout le monde est appelé à participer au développement d’une nouvelle approche de notre passé mais aussi de notre réalité présente. Apprendre l’objectivité, apprendre à appeler les choses en leur nom, apprendre à dire la vérité,
pour sauvegarder notre indépendance et la paix précaire au Liban. Tant que nous avons une vision restreinte, biaisée et incomplète de notre histoire, nous aurons une perception erronée de notre présent et donc de malheureuses influences sur notre avenir. Certains prônent l’idée que le fait d’en parler pourrait exacerber les divergences et les tensions entre communautés. Je ne suis pas d’accord. En laissant le terrain vacant, on l’expose à être envahi par d’indésirables ou de dangereux occupants. N’ayant pas de modèles pour comparer, analyser et juger, les jeunes n’auront d’autres informations que celles du leur milieu.

On a beaucoup misé sur les tables rondes des chefs politiques. Le peuple, lui, est marginalisé. Au lieu de confirmer la réconciliation nationale, il est utilisé et manipulé pour alimenter le public de tel ou tel politicien. Qu’est –ce qu’un gouvernement d’unité nationale quand les divisions au sein du peuple n’ont jamais été autant aiguillonnées ? Encourageons l’instauration d’une culture nationale permettant à nos enfants de développer une même représentation mentale de leur pays. Pour qu’adultes, ils n’aient pas besoin de recourir à des guerres civiles suivies de tables rondes (ou inversement !) pour décider du sort de leur pays. Une éducation civique est donc indispensable. Elle doit favoriser l’apprentissage de la communication, de l’acceptation de l’autre et doit édifier les bases d’une culture de la paix. La reconstruction du Liban doit être accompagnée d’une réfection du souffle national et des sentiments intercommunautaires chez les libanais en vue de l’édification d’une culture nationale. Le déni de certaines réalités nous empêche de faire des changements et de progresser. Il étouffe le Rêve Libanais et nous pousse vers un suicide collectif. En espérant arriver à une indépendance définitive des préjugés, des faussetés et de l’immaturité intellectuelle.

Roula Azar Douglas