Lorsque les chaînes sont mentales

« Nafs el-helem ». Le même rêve, ou le rêve de soi. Un jeu de mots qu’Yvan Harfouche, 22 ans, étudiant en dernière année d’audiovisuel à l’Université libano-allemande (LGU), a choisi pour son premier court-métrage réalisé dans le cadre d’une campagne de sensibilisation sur la liberté d’expression menée par l’ONG March et pour lequel le jeune réalisateur a été primé par la LGU. Une juxtaposition de scènes simples, touchantes et fortes. On y voit un jeune homme raconter à un ami un rêve récurrent qui le tenaille. Et des images, presque stroboscopiques, où on visite son cauchemar. L’homme, seul, attaché à une chaise dans une salle noire – à l’exception d’une « lumière dont il ne reconnaît pas la source » et qui inonde et aveugle son visage tordu par la souffrance –, n’arrive pas à appeler à l’aide. « Coincé », « emprisonné », presque abattu, quelques instants avant de se laisser aller au désespoir et d’abandonner toute lutte une ombre – lui-même – le (se) libère.
« L’idée m’est venue rapidement. Et j’ai réalisé le film en quelques heures », confie Yvan. Une force mentale, une reprise de contrôle sur la vie qui n’est d’ailleurs pas étrangère au propre vécu du jeune réalisateur. « Il y a quelques années, j’avais 15 ans, un malheureux accident m’a laissé sur cette chaise roulante », raconte-t-il. Une pénible expérience pour l’adolescent qui passe l’année du brevet sur un lit d’hôpital. Mais qui ne l’empêche pas de présenter l’examen officiel dans une salle aménagée pour l’occasion au sein de l’établissement hospitalier et d’obtenir son diplôme avec mention. S’ensuivent de multiples interventions chirurgicales et une longue hospitalisation aux États-Unis. De ces mornes journées dans une chambre aseptisée, Yvan est sorti avec une passion, le cinéma, et une détermination : réaliser des « films qui laisseront des traces ».
« Je veux transmettre un message à travers l’image », poursuit le jeune homme, peu loquace, qui considère que « les mots risquent d’affaiblir la force du visuel ». Parlant de force, Yvan semble avoir une grande capacité mentale à se donner à fond dans la poursuite des objectifs qu’il s’est fixés. Une force mentale qui se trouve multipliée par celle de sa mère, Micha, qui, dès les premiers jours de l’accident, a décidé que son « fils vivra normalement ». « Pas facile, surtout dans un pays où rien ou presque n’est adapté aux personnes ayant des handicaps », lance-t-elle. Micha réussit à convaincre la municipalité de Jounieh d’aménager dans la ville un accès facile aux personnes en chaise roulante. Ça ne sera pas son unique victoire. « Dans notre malheur, nous avons eu la chance de retrouver sur notre chemin des gens qui nous ont beaucoup soutenus, souligne Micha Harfouche, en insistant sur le rôle qu’a joué et que continue à jouer la LGU dans la vie de son fils unique. Yvan, l’un des premiers de sa promotion, effectue actuellement un stage à la LBC et rêve de scènes mondiales. « Il n’en est pas loin, affirme sa mère. Ses enseignants lui prédisent un avenir brillant, mais il est trop modeste pour en parler. » 

Du talent, de l’ambition et une détermination à soulever des montagnes

Diplômée en arts visuels de l’Université libanaise, l’ambition dont Raymonda Adib fait preuve et son envie de créativité n’ont pas de limites. « Nos rêves doivent nous rendre plus forts et non pas le contraire », lance-t-elle, un sourire contagieux illuminant son visage aux traits fins. Pourtant, le vécu de la jeune peintre n’a pas été des plus faciles. « J’ai commencé à travailler vers l’âge de 15 ans », confie-t-elle. Son premier emploi dans une boulangerie (qu’elle n’a pas tardé à quitter) puis celui dans une boutique de sacs et de chaussures lui permettent de financer sa scolarité et d’acquérir son premier ordinateur. « Je fréquentais une bien modeste école. Une seule enseignante était chargée de nous apprendre toutes les matières. Je travaillais après les cours et rentrais chez nous vers 21h pour étudier tard la nuit, souvent jusqu’au petit matin. »
Avant d’intégrer la faculté des beaux-arts, Raymonda peignait spontanément. « Ma formation a été très constructive. J’ai appris les fondements et la base de la peinture, et j’ai compris le pourquoi des choses », poursuit-elle, avant d’ajouter : « J’ai beaucoup travaillé sur moi-même. J’ai appris l’anglais en regardant des films sous-titrés. » Un parcours réussi, maints obstacles surmontés, une histoire à succès qu’elle n’hésite pas à partager. « Il y a deux mois, j’ai été invitée à Dubaï par “ The Nawaya Network ”, une ONG qui s’occupe des enfants défavorisés, pour raconter mon histoire et exposer mes toiles. » C’était la première fois que la jeune femme prenait l’avion. Avait-elle peur de se dévoiler devant un public qu’elle ne connaissait pas ? « Non. Par contre, lorsque j’ai parlé devant des élèves de six et sept ans à l’école Wellspring, dans la région du musée à Beyrouth, j’avais le trac. C’est une grande responsabilité que de communiquer avec des enfants. Il fallait être prudente et éviter de leur donner le mauvais message. Un petit a proposé de donner de son argent pour aider les pauvres. Je lui ai répondu : “ Il vaut mieux leur donner des outils pour réussir que de l’argent. ” Un autre a voulu savoir si j’étais en colère lorsque j’ai peint Une étude (de l’âme) de l’immobilité et du mouvement que j’avais choisie pour illustrer les cartons distribués aux élèves. » Une peinture que Raymonda évoque avec passion et émotion. « Sortir de la boîte », « lever la tête », « respirer la liberté » sont des termes qui reviennent souvent dans sa bouche lorsqu’elle en parle.

Malgré son quotidien chargé, la jeune femme trouve toujours le temps de s’investir dans la société. « J’ai collaboré à Imagination Studio , un projet inscrit dans le cadre du doctorat de Joanna Choukeir à l’Université des arts de Londres, qui a réuni des jeunes de différents régions, mentalités et intérêts autour de la volonté de s’exprimer et de changer les choses.Aujourd’hui, à 24 ans, Raymonda est déterminée à se réaliser et à voir ses rêves devenir réalité. Mariée depuis quatre ans, « juste après la terminale », elle bénéficie du soutien de son mari qui l’encourage « à aller de l’avant, à ne pas me limiter et à me construire en permanence ».
Un dernier mot ? « Dans la vie, j’ai appris à travailler dur. Mon message aux jeunes : si vous tombez, relevez-vous et recommencez. »

www.raymondaadib.com 

« Bleus de Marybelle », ou lorsque la plume se fait lumière

Coloré, drôle et émouvant, le premier livre pour enfants de Carole Awit, jeune enseignante de français à l’Université Sainte-Famille à Batroun et lauréate du prix Rami Azzam en 2009, aborde un thème social important : l’acceptation de la différence. La jeune auteure raconte l’histoire de Marybelle, une petite fille « pas comme les autres » qui, bébé, était « belle comme un cœur » et pour laquelle « ses parents imaginèrent une vie sans nuages ». Un vœu qui aurait pu être exaucé n’était-ce sa chevelure, « à la couleur indéfinie qui ressemblait au bleu de la nuit », qui affectera le regard que lui portent les gens.
« Pour évoquer la différence, je n’ai pas voulu parler aux enfants de maladies ou de handicaps comme c’est souvent le cas », souligne la jeune écrivaine. Dans Bleus de Marybelle, publié aux éditions Hatem et joliment illustré par Élie Saliba, Carole Awit a tenu à présenter aux élèves libanais « des personnages qui sont eux aussi des élèves » qui leur ressemblent, qui mènent des activités similaires et qui évoluent dans un milieu scolaire. « Souvent on donne aux enfants des livres avec, comme personnages principaux, des animaux, des fées ou des gens qui ne sont pas dans la vie de tous les jours. Et même si certains de ces livres sont très beaux, j’ai voulu leur offrir des personnages plus réels », poursuit Carole.
Imagination, gaieté du ton et message édifiant
En 2011, Carole Awit a reçu le prix du jeune écrivain de langue française pour sa nouvelle Comateen, alors qu’elle était étudiante en master de lettres françaises à l’USJ. Son récit a été publié aux éditions Buchet-Chastel dans une œuvre collective intitulée L’idiot du village et autres nouvelles.
« J’ai toujours écrit pour les adultes. Cette fois, j’ai eu envie de réaliser quelque chose pour les petits », raconte la jeune fille dont les deux parents sont professeurs de lettres et qui s’est trouvée immergée dans l’univers des livres dès sa tendre enfance. « Chez nous, on aimait beaucoup lire. On aimait raconter nos propres histoires aussi » , ajoute-t-elle.
Parlant de son livre, elle confie : « J’avais, depuis longtemps, l’idée de ce récit dans la tête. J’en ai discuté avec Mme Thérèse Hatem, directrice des éditions Hatem. Et nous nous sommes entendues sur sa publication. »
Bleus de Marybelle, qui allie imagination et gaieté du ton, est porteur d’un message édifiant. Le récit, musical, rempli d’images et de couleurs, n’est peut-être pas étranger à l’amour qu’avait la jeune auteure pour l’écriture de chansons. « Adolescente, je rêvais d’écrire des chansons. J’avais des amis musiciens qui se sont intéressés à mes textes. Malheureusement, nos projets sont tombés à l’eau » , raconte-t-elle.
Ce livre, qui comprend, outre le récit, un supplément de huit pages d’exercices ludiques, a été adopté par nombre d’écoles privées pour distribution auprès de leurs élèves.
L’auteure projette de publier bientôt un recueil de nouvelles pour adultes. Intelligente, talentueuse et persévérante, Carole Awit ira loin.

Pour en savoir plus sur Bleus de Marybelle :
 www.facebook.com/BleusDeMarybelle.