Un texte, tristement d'actualité, que j'ai écrit il y a des années...

Par Roula AZAR DOUGLAS


Il y a quelques années, je pensais que mes souvenirs s’étaient estompés jusqu’à s’effacer complètement devant les jours qui passent, devant mes voyages et mes nouvelles expériences, devant mon bonheur de vivre, devant mon mariage, devant les rires de mes deux garçons.

Non, je n’ai rien oublié.

Il a suffi d’un son, d’une image, d’une odeur, d’un incident, d’un 12 juillet pour que je me rende compte que tout est là, intact. Intactes sont les images d’horreur, intacte est la peur qui me dévore de l’intérieur, intact est le dégoût face à cet aspect Mister Hyde dans chaque être humain, intact est le désespoir qui surgit sans avertissement et tente inlassablement de m’attirer au fond d’un gouffre sans fond, intact ce rejet de toute forme de violence même verbale, intacte cette phobie de toute personne en uniforme, intacte cette angoisse de la mauvaise nouvelle à chaque sonnerie du téléphone.

Non, je n’ai rien oublié.

Je me souviens d’événements que j’aurai peur de rapporter par crainte que mes enfants ne les lisent, par crainte que d’autres enfants ne les lisent. Mais, finalement, c’est pour ces enfants que je vais exorciser les démons de la guerre. C’est pour éloigner le spectre d’une nouvelle guerre civile que je vais écrire...

Je me souviens de ce jour d’été, j’étais encore une enfant. J’entends un bruit métallique répétitif suivi par les cris de mes sœurs cadettes, Rania et Rima. Je revis cet étrange sentiment qui m’envahit : un mélange de peur et de curiosité. Je cours au balcon de notre appartement. Et je m’arrête net. J’ai l’impression que si je tends la main, j’arriverais à toucher ce char qui s’ouvre difficilement un passage dans les ruelles de mon quartier. Tout est figé. Le temps s’est arrêté. Le sang glacé, les yeux exorbités, je regarde horrifiée, sans vraiment comprendre. Soudainement, après ce qui me semble être une éternité, je reprends contact avec la réalité. Les doigts glacés de ma mère qui me serrent le bras me font froid, j’entends sa voix durcie par l’angoisse et la peur : « Roula, rentre vite au salon ! » Ce qu’elle me dit résonne dans mes oreilles, mais ne rencontre aucun écho dans mon conscient. Mes jambes sont molles. Elle n’a d’autre choix que de me pousser vers l’intérieur. Je ne suis pas capable de discuter avec elle de ce que j’ai vu. La nuit, je n’arrive pas à m’endormir. Et malgré les murs qui séparent notre chambre de celle de mes parents, j’entends clairement une partie des propos qu’ils échangent : – « Antoine, les filles ont tout vu ! Ces monstres ! Ces brutes ! Ces barbares ! Ils traînaient un homme sur la chaussée, derrière le tank ! Il avait les poings et les pieds liés !
– Calme toi, Robine. Ne réveillons pas les filles. »

Je me souviens, comme si c’était hier, de la panique de mes camarades de classe quand, lors d’un cours d’histoire, une pluie d’obus s’est abattue sur notre quartier. Je ressens ma peur et mon angoisse. Je me rappelle très bien de la frénésie des enseignants et des religieuses cherchant à mettre de l’ordre dans la ruée des élèves hors des classes et les dirigeant vers la cantine pour s’abriter. Je vois leurs visages blêmes quand ils se sont rendu compte qu’à la cantine, il y avait de grosses bonbonnes de gaz rendant l’endroit dangereux. Je vis encore ce soulagement ressenti à l’arrivée de papa. Il me serre la main très fort comme s’il a peur de me perdre. Je me rappelle du retour à la maison. Ce chemin, mille fois emprunté, mais qui, ce jour-là, semble se dilater indéfiniment...

Je me souviens des yeux confus et évasifs d’une copine, après une semaine d’absence de l’école. Je pense à l’attroupement des camarades autour d’elle, ne sachant quoi lui dire ni comment la consoler. J’entends leur chuchotement : « La pauvre, son père a été tué par l’explosion d’une voiture piégée. »

Je me souviens de longues nuits passées à l’abri, dans la pénombre et l’humidité. Je me souviens des heures interminables, accrochée au combiné du téléphone, priant pour la sécurité des proches et amis, attendant la ligne qui ne « vient » pas...

Je me souviens de mon « bizarre » réveil une certaine nuit de septembre 1978. Je me rappelle des mots exacts pour ma sœur : « Rania, tante Ramona est morte. » Personne ne me l’avait dit, mais je le savais. Je vois encore la frustration de ma famille de ne pas pouvoir assister à l’enterrement ; la ville étant assiégé. Plus tard, à plusieurs reprises, Rania et moi avons cru la rencontrer au coin d’une rue avant de nous rappeler qu’elle est « partie ». À chaque visite de condoléances, mes sœurs et moi captions des bribes de conversation des « grands » : la tasse de café turc est restée intacte sur sa table de chevet ; elle est morte dans l’abri, avec tous ses voisins ; l’abri était mal construit ; elle ne voulait pas quitter la ville par crainte de perdre son emploi à la banque, elle avait 40 ans...

Je me souviens de nos fuites sous les bombes vers le port de Jounieh, des petites chaloupes empruntées dans la nuit noire, de l’échelle-corde au-dessus de la mer sombre qu’il fallait emprunter pour prendre le bateau de commerce, en pleine mer. Je me souviens des chansons militaires à la radio, des photos de jeunes martyrs aux murs de ma ville, des sirènes des corbillards mortuaires. Je me rappelle des lamentations, remplacées plus tard par des gémissements d’une voisine meurtrie par la perte de son fils de 18 ans et que nous entendions pendant des mois, chaque nuit, quand le silence se faisait dans notre quartier.

Je me souviens de cette dernière image que j’ai de la guerre civile dans mon pays : je vois le trottoir devant notre immeuble, à Achrafieh, envahi par nos amis, nos proches et nos voisins ; je vois les larmes sur leurs joues ; je vois leurs gestes d’adieu et je me revois avec mes parents et mes sœurs prenant place dans ce taxi qui nous emmenait vers l’aéroport. Dans la voiture, personne n’osait prendre la parole par peur d’éclater en sanglots. C’était le 16 juin 1990 et nous fuyions vers le Canada…

Quand un groupe d’étudiants fait renaître un magazine




De gauche à droite, Camille el-Khoury (directeur administratif), Brahim Najem (directeur de rédaction), Jad el-Youssef (rédacteur), Celine-Marie el-Chami (rédactrice en chef adjointe) et Pascal Watwat (directeur général). 


« Certains voient les choses telles qu’elles sont et demandent pourquoi ; je rêve de choses impossibles et me dit pourquoi pas. » C’est la citation – de Kennedy – que Hala Abou Charaf, étudiante en troisième année d’économie à l’USJ, a choisie pour introduire son éditorial de rédactrice en chef du premier numéro d’ÉcoLibre paru en avril passé. ÉcoLibre, le magazine des étudiants de la faculté des sciences économiques de l’USJ, qui « a servi de porte-voix aux étudiants assoiffés de liberté dans les années 90, un rôle qui a été souligné dans le film Rue Huvelin, précise Pascal Watwat, président de l’amicale étudiante et directeur général de la publication estudiantine. ÉcoLibre – qui paraissait sous forme de dépliant distribué uniquement sur le campus de la rue Huvelin – n’était plus publié depuis 2008 ». « Faire revivre ce magazine était l’un des plus grands projets autour desquels s’est articulée notre campagne lors des élections estudiantines, au début de l’année universitaire », poursuit Pascal. Le défi a été relevé et la promesse tenue. Il y a quelques semaines, c’est un magazine d’une centaine de pages – bien illustré, riche en articles variés rédigés majoritairement par des étudiants et traitant de sujets divers dans différents domaines tels que la finance, le droit, la politique, l’écologie, la culture, la mode et le cinéma – qui a été distribué sur les campus.
« Les rédacteurs sont issus de toutes les facultés. Nous avons voulu également nous ouvrir sur d’autres universités, notre but étant d’enrichir nos articles par des regards différents », confie Pascal Watwat, qui s’est également occupé de la conception graphique du magazine. « Nous avons tout fait nous-mêmes : le choix des sujets, la rédaction des articles, la conception graphique, la maquette, la mise en page. Ce qui nous a permis d’épargner quelque 2 000 $ », indique Brahim Najem, directeur de rédaction et étudiant en 3e année d’économie à l’USJ. Cela représente 60 % du coût total, qui est de 3 000 $ environ couverts en grande partie par des sponsors sollicités par les étudiants eux-mêmes.
Outre Pascal, Hala et Brahim, le comité de rédaction compte également deux autres étudiants : Céline el-Chami, rédactrice en chef adjointe, et Camille el-Khoury, directeur administratif et financier, qui s’est occupé du site Web, du finissage technique et de la distribution. À savoir que plus de 2 500 copies d’ÉcoLibre ont été distribuées sur les campus de l’USJ.
Sur la couverture de ce premier numéro d’ÉcoLibre, une photo du bâtiment – partiellement ensoleillé – de la faculté d’économie sur la rue de Damas. Pascal précise : « Nous avons choisi cette photo pour l’ombre et la lumière. Nous voulons que notre magazine, ressuscité dans un nouveau concept professionnel, puisse, à l’instar du soleil dans la photo, apporter un éclairage différent sur l’économie, la culture et l’actualité. »


Il est temps que la profession d’infirmier soit reconnue à sa juste valeur






Ils sont quelque 10 000 au Liban à exercer la profession d’infirmier. Des milliers de femmes et d’hommes dont la mission consiste, d’après la définition qu’en donne l’OMS, à aider les individus, les familles et les groupes à déterminer et réaliser leur plein potentiel physique, mental et social. Leurs fonctions sont variées et vont du maintien et de la promotion de la santé à la prévention des maladies. Indispensables, ils le sont sans aucun doute. Recherchés aussi, surtout dans les régions et depuis que le phénomène d’émigration des infirmiers est devenu une triste réalité au Liban. Pourtant, ces professionnels de la santé souffrent encore, malgré les efforts soutenus et les réclamations constantes de l’ordre des infirmiers et infirmières au Liban, de conditions de travail inacceptables. « Nous sommes désolés de vous informer que nous n’avons pas atteint les objectifs que nous nous sommes fixés, et cela malgré les demandes insistantes et répétées auprès des responsables et des instances concernées », a déclaré Mme Claire Ghafari Zablit, présidente de l’ordre des infirmiers et infirmières au Liban, lors de la conférence de presse tenue le jeudi 10 mai, dans les locaux de l’ordre, à Sin el-Fil, à l’occasion de la Journée internationale des infirmières. Les revendications, fort réalistes et tout à fait légitimes, portées par l’ordre des infirmiers et infirmières au Liban sont : l’ajustement des salaires en tenant compte de la situation économique, des diplômes détenus et des fonctions occupées ; la mise en place de contrats de travail entre les journaliers et les employeurs ; la reconnaissance des diplômes et la réduction du temps de travail à 42 heures par semaine. « Nos revendications portent également sur l’octroi de primes annuelles et d’indemnités pour le travail les jours fériés, l’établissement d’une assurance santé et des vacances annuelles », a affirmé Mme Zablit. Des infirmiers et des infirmières de tout âge et de toutes les régions du Liban, des défenseurs de la cause infirmière et de nombreux journalistes ont assisté à la conférence. « Pourquoi doit-on accepter de travailler de longs mois sans toucher de salaire ? » s’est écriée une infirmière présente lors de la conférence de presse. Une autre a confié avoir peur de se plaindre auprès de l’ordre par crainte des représailles. « J’ai peur de perdre mon travail si je me plains. » Par ailleurs, les infirmiers souffrent encore de stéréotypes ancrés dans la pensée commune et véhiculés par les médias. L’image la plus répandue est celle de « l’ange de miséricorde » qui se « sacrifie » pour les autres. Des stéréotypes contre lesquels l’ordre des infirmiers et infirmières au Liban lutte depuis des années. Dans cette optique et pour inciter les jeunes à choisir la profession d’infirmier, l’ordre a réalisé un court-métrage – à diffuser dans les écoles secondaires – mettant en scène de jeunes infirmiers et infirmières passionnés, fiers et motivés, qui racontent leur métier. Environ 500 infirmiers sont diplômés des universités libanaises par an. Un chiffre bien en deçà de la demande des hôpitaux.

Pour toutes ces raisons, je l’aime


Par Roula AZAR DOUGLAS | samedi, mai 5, 2012

Il y a mille et une raisons de « désaimer » le Liban. Pourtant, dans les milliers de messages nés de l’initiative de Philippe Abou Zeid sur Twitter, c’est de son sentiment d’amour envers le pays du Cèdre que l’on parle. Le jeune homme de 28 ans, diplômé en sciences politiques de l’USJ et en journalisme de l’Université libanaise, raconte : « En discutant avec des amis, la veille de la commémoration
de la guerre civile libanaise, j’ai réalisé que rien n’encourage les jeunes à rester au Liban. C’est à ce moment que j’ai eu l’idée de créer un trend sur Twitter (#ILoveLebanonBecause) pour contrer l’atmosphère négative qui sévit dans le pays. » Le jeune homme décide alors de créer « une situation de solidarité en ligne afin d’inciter les gens à oublier la guerre, de provoquer une réflexion positive sur le Liban et le plus important : de porter les Libanais à réaliser qu’ils aiment toujours et pour toujours leur pays ». Derrière son initiative, l’amour pour sa patrie, mais aussi pour sa petite sœur Carmen âgée de 15 ans qui, elle aussi, rêve de s’envoler vers de nouveaux cieux. « Je veux donner aux jeunes et à ma sœur en particulier des raisons de ne pas quitter le Liban. »






C’est ainsi que Philippe invite ses abonnés (followers) à partager avec les autres utilisateurs les raisons pour lesquelles ils aiment leur pays. Des milliers de Libanais répondent à l’appel. Son initiative, encouragée à ses débuts par les « tweets » (messages sur Twitter) de personnalités médiatiques comme Marcel Ghanem et Neshan Derharoutounian ou de la chanteuse Élissa, connaît rapidement un franc succès. Un flot de commentaires positifs, souvent drôles et originaux, déferle sur Twitter. « Au cours des premières 24 heures, 1 500 tweets liés au #ILoveLebanonBecause sont postés, générant plus de 1 251 000 impressions (personnes ayant lu le tweet sur leur page) pour une audience de plus de 364 000 abonnés », affirme Philippe. Des chiffres élevés qui ont pourtant été dépassés le lendemain, cette marée numérique laissant peu de jeunes Libanais actifs sur Twitter indifférents. « Aucune figure politique n’a participé. Ce qui a préservé cette campagne de toute politisation », tient à souligner Philippe, qui travaille comme producteur-reporter à l’émission Kalam el-Nass. Le jeune homme, qui a l’intention de rassembler bientôt les messages postés sur Twitter dans une publication papier, conclut : « Je rêve d’un jour où l’on puisse écrire : j’aime le Liban car c’est plus qu’un pays, c’est un paradis. »