Lorsque tout se joue très tôt

Ci-dessus, de jeunes étudiantes sortant de l’USJ à Beyrouth.

Ce n’est pas sur le campus d’une université ni dans un atelier de formation que je l’ai rencontrée, bien qu’elle aurait donné des années de sa vie pour pouvoir y accéder. Ni au cours d’une quelconque manifestation culturelle, sportive ou communautaire. Je l’ai croisée dans un salon de beauté, l’une des innombrables boutiques de coiffure qui pullulent à Beyrouth. Elle y travaille comme manucure, neuf à dix heures par jour, six jours par semaine. « Souvent sans pause déjeuner », précise-t-elle. 
Le teint terne, la peau rêche, le regard éteint, Samar, dans la seconde moitié de la vingtaine, portait difficilement une grossesse de huit mois. « La chaleur me tue. Notre appartement, situé au dernier étage d’un petit immeuble, est un four », se plaint-elle, avant d’ajouter en regardant son ventre : « C’est mon troisième. Mon premier, une fille, je l’ai eu à l’âge de 15 ans. » Une enfant qui donne naissance à un enfant. Une adolescence volée. Une vie à jamais altérée. « Je n’ai pas connu l’insouciance de la jeunesse. Je me suis retrouvée très tôt face à des responsabilités qui me dépassent et qui m’ont demandé de grandir trop vite. Et si je veux raconter mon histoire aujourd’hui, c’est pour avertir les jeunes Libanais du risque sérieux qu’il y a à abandonner ses études et de la gravité des mariages précoces qui ne devraient pas être encouragés par les parents », poursuit-elle.

Travail précaire et maigre revenu
À quelques semaines de l’accouchement, Samar est très préoccupée par la situation financière de sa famille. « Je me fais beaucoup de soucis. Je vais prendre un mois de congé à la naissance de mon fils, durant lequel mon salaire actuel de 600 dollars par mois sera coupé », confie-t-elle. Pourtant, le code du travail, amendé au moins d’octobre passé, prévoit un congé maternité payé d’une durée de 60 jours. « Peut-être... Mais je n’ose pas me plaindre pour ne pas perdre mon emploi », avoue-t-elle. Samar ne pourra pas non plus compter sur le faible revenu de son mari, chauffeur de camion, pour compenser la perte de gain générée par son arrêt de travail.
« Je regrette de ne pas avoir poursuivi mes études. Tout aurait été différent si j’avais un diplôme ! Qu’est-ce que je donnerais pour un retour dans le temps et le banc de l’école », soupire-t-elle. Mais il n’est jamais trop tard pour prendre les rênes de sa vie en main, reprendre ses études et devenir ce qu’on aurait pu être ? « Pas au Liban. On me dit que dans d’autres pays, en Europe ou au Canada, j’aurais pu recommencer et reprendre mes études là où je les avais abandonnées, apprendre un autre métier ou même intégrer une fac où de nombreuses formations se donnent en soirée, tout en gardant mon travail pour subvenir aux besoins de ma famille. On me parle aussi de l’aide sociale que les gouvernements de ces pays donnent aux citoyens démunis. Pas au Liban, non ! »