Table ronde

Dans le cadre du 17e Salon du Livre
francophone de Beyrouth,  les éditions Dergham ont l’honneur de
vous convier à une conférence autour du thème : «Écriture journalistique, écriture
romanesque: quelles différences?»

Intervenants : Roula Azar Douglas, Karen Boustany, Belinda Ibrahim et Alexandre Najjar.
Animation : Elsa Yasbek Charabati


le jeudi 4 novembre
à 18 heures
Salle Gibran - Biel

Loi sur la nationalité : Il est temps de lever l’injustice !



La colère et la frustration étaient palpables au lancement de la campagne « Pour amender la loi sur la nationalité au Liban », il y a quelques jours au Phœnicia. Campagne organisée conjointement par le programme des Nations Unies pour le développement (UNDP) et le comité national du suivi des affaires des femmes. Détails sur les conséquences de la loi de 1925 qui stipule dans son premier article : « est considéré comme libanais tout enfant né de père libanais ».

La salle est comble. Des femmes et des hommes directement concernés par la loi, mais aussi de très nombreux supporters de diverses tranches d’âge, de toutes les catégories sociales et de toutes les confessions. Un écran géant. Le spot télévisé de la campagne passe en avant première. L’image est forte. Un bébé, rose, bien portant, souriant. « Il est le portrait tout craché de sa mère, entend-on, ses yeux, son sourire…». Gros plan sur les mains, menottées, du bébé. «Tout, sauf sa nationalité, car son père n'est pas libanais ! » Les menottes, c’est la frustration et l’impuissance que ressentent les femmes libanaises, mères d’enfants non libanais. Et c’est aussi le manque de contrôle de ces enfants face aux répercussions de leur situation de non libanais sur leur vie de tous les jours et leur avenir.

Violation du principe d'égalité des citoyens. Injuste et discriminatoire, l’article en question est une violation du principe d'égalité des citoyens devant la loi. « La loi doit traiter équitablement les citoyens sans aucune discrimination. Au Liban, le fait de naitre fille implique la perte d’une partie de ses droits. Il n’y a pas de plus injuste qu’une loi inéquitable. Il faut lever l’injustice de la loi ! », martèle Ziyad Baroud, ministre de l’intérieur et fervent défenseur de l’amendement de la loi sur la nationalité. « On ne veut pas de mariages blancs. C’est certain. Mais il y a une grande différence entre interdire à la femme le droit fondamental à la transmission de la citoyenneté et le réglementer », assure-t-il. En insistant sur l’importance d’une bonne réglementation et d’un contrôle efficace de l’application de la loi si elle est amendée, le ministre de l’intérieur révèle que les réserves des politiciens à l’égard de ce sujet ne sont pas techniques mais politiques. « Les politiciens libanais ne font pas preuve de courage dans leur approche de ce sujet. Ils n’ont même pas accepté de le mentionner dans la déclaration ministérielle. Je comprends qu’ils aient un avis différent là-dessus mais il faut en discuter ». Actuellement, une femme non-libanaise mariée à un libanais, le devient par la loi, idem pour ses enfants. « Il arrive souvent qu’elle ne parle pas arabe, qu’elle ne connaisse rien à l’histoire de notre pays et qu’elle n’ait pas de projet de vie au Liban, on lui offre, ainsi qu’à ses enfants, la nationalité libanaise et moi, avec tout le souffle libanais qui m’anime, avec tout le sang libanais qui circule dans mes veines, avec tout mon patriotisme, avec toute ma passion envers mon pays, que je communique à mes enfants, je n’ai pas le droit de leur donner la nationalité ! Quelle injustice ! », crie Carla, mère de deux enfants italiens. Une injustice douloureusement ressenti par toutes les familles concernées : femmes, enfants et conjoints. Qu’ils soient de milieux très aisés ou défavorisés, qu’ils aient une nationalité occidentale ou arabe, ils en sont tous affectés. « Il ne faut pas minimiser l’impact de cette loi sur notre vie et celle de nos enfants. Je m’inquiète beaucoup de ce qui arrivera à ma mort. Dans le contexte actuel, mes enfants ne pourront pas hériter de mes propriétés », déplore une mère outrée. Une autre, les larmes dans la voix, raconte comment l’école publique à refuser d’admettre son fils de trois ans « car la priorité est aux libanais ». Touchants et poignants, les témoignages se multiplient. « Mon fils n’a pas le droit de jouer avec l’équipe nationale de football. » ; « On a interdit à ma fille de chanter l’hymne national à l’ouverture des jeux de la francophonie » ; « Renouveler le permis de séjour de ma fille est un vrai calvaire pour moi, les remarques désobligeantes des fonctionnaires, leur attitude nonchalante, l’attente... » ; « L’école a demandé aux élèves de présenter une copie d’une de leur pièce d’identité, pour une sortie. C’est ainsi que ma fille a découvert qu’elle n’est pas libanaise. Depuis elle est marginalisée par ses camarades. » ; « J’ai peur pour son avenir. Il veut étudier la médecine, mais pourra-t-il exercer au Liban ? » ; « Je n’ai pas les moyens de payer les frais de l’opération chirurgicale que mon enfant doit subir ». Et aussi, et surtout : « Je me sens impuissante. » ; « J’ai l’impression de n’être qu’une demi-citoyenne. »

Les palestiniens ne constituent qu’une petite partie des mariages avec des non-libanais. Les partisans de cette cause sont conscients que le problème palestinien est à la base de la résistance face à l’amendement de la loi, bien qu’à l’origine, en 1925, il n’existait pas. « Ça ne doit pas l’être, il suffit de lire les chiffres. Les palestiniens ne constituent qu’une petite partie des mariages à des non-libanais », répond Dr Aman Kabbara Chaarani, présidente du comité de suivi des affaires des femmes, se basant sur une étude longitudinale de 1995 à 2008. L’étude en question a recensé environ 18 000 mariages entre des libanaises, toutes confessions confondues, et des non-libanais. Moins de 22 % des conjoints non-libanais sont palestiniens. « La loi est dégradante à plusieurs égards. Les femmes palestiniennes mariées à des libanais obtiennent, elles et leurs enfants, la citoyenneté libanaise. Par contre, on a peur pour le Liban quand les femmes libanaises épousent des palestiniens ! C’est assumer qu’au Liban, on ne croit pas aux idées, aux opinions, à l’influence de la culture et de l’éducation ; On ne croit qu’à ce qui est marqué dans la case confession dans les pièces d’identité. N’est-ce pas considérer que les libanais ne sont pas capables de réflexion, de jugement et d’esprit critique ? À mon avis, cette loi est dégradante pour l’ensemble de la population ! » , s‘indigne Carla.

En faveur de l’amendement. Outre la campagne médiatique, une pétition est mise en ligne sur le site web www.lwrnl.org pour l’amendement de la loi sur la nationalité. Au moment d’écrire ces lignes, plus de 3000 personnes ont déclaré leur soutien à la campagne. Beaucoup d’hommes sont en faveur de l’amendement pour une égalité entre les citoyens. « Les enfants de toute femme libanaise, peu importe où ils se trouvent, sont libanais de cœur ; la loi doit l’admettre. Nous sommes fiers d’être libanais, mais comment l’être complètement quand la moitié de la population n’a pas les mêmes droits que l’autre moitié ? », s’interroge un jeune homme. Antoun, un autre supporter, s’indigne: « C’est inconcevable que mon fils puisse passer la nationalité libanaise à ses enfants et non mes filles. C’est une loi désuète et rétrograde. Il faut absolument la changer. » Laith, elle, est une brillante doctorante de 21 ans. Née de mère libanaise et de père non-libanais, la jeune femme a choisit de poursuivre ses études supérieures aux États -Unis. Elle témoigne : « Permettre à la femme libanaise de donner la nationalité à ses enfants ne bénéficiera pas uniquement à sa famille, il profitera aussi au Liban en empêchant la fuite des cerveaux. A l’obtention de mon diplôme, j’hésite à retourner au Liban puisque je n’ai pas la nationalité libanaise. Je connais de nombreux étudiants de mère libanaise comme moi, qui après un long parcours académique choisissent de rester à l’extérieur car le Liban ne leur accorde pas la citoyenneté. »

Il est à noter que quatre pays arabes ont donné dernièrement à la femme le droit de transmettre sa nationalité à ses enfants : la Tunisie, l’Égypte, le Maroc et Bahreïn. Au Liban, malgré les apparences et les prétentions, les droits de l’homme, l’égalité entre les citoyens, la justice ne sont encore que des slogans. Le silence, assourdissant, du gouvernement en témoigne.

Roula AZAR DOUGLAS