Nadine Asmar, une belle promesse pour le cinéma libanais

Affolée, une adolescente se précipite à l'intérieur d'une église. L'endroit est désert et silencieux. Des cierges brûlent. Plan serré sur le visage troublé de l'écolière. Dans ses yeux anxieux, une profonde inquiétude voile l'insouciance propre aux jeunes de son âge. Le film de diplôme de Nadine Asmar plonge le spectateur, dès les premiers instants, dans l'ambiance gorgée d'angoisse de la guerre, dans un univers – ô combien proche de notre réalité actuelle – où des hommes « prisonniers de leurs préjugés et de leurs haines » sèment l'horreur.
« Mon court-métrage, intitulé L'aveugle de la cathédrale, est une adaptation libre du roman posthume éponyme du romancier libanais Farjallah Haïk, paru aux éditions Hatem en 1994 », précise la jeune fille qui vient de finir sa licence en cinéma et télévision à l'Institut des beaux-arts, section 2, de l'Université libanaise. Un ouvrage que l'étudiante découvre grâce à sa sœur Pascale Asmar qui cosignera avec elle le scénario du film et coproduira l'adaptation cinématographique. Inspiré de la guerre civile qui a déchiré le Liban, c'est un « roman prémonitoire », estime Nadine en faisant allusion à la recrudescence des violences confessionnelles dans différentes régions du globe.
Le court-métrage, d'une durée de dix-sept minutes, a nécessité cinq mois de travail dont quatre jours de tournage et un mois consacré au montage. Un travail assidu et de qualité qui n'a pas été exempt de difficultés. Des traverses que la jeune réalisatrice, qui soufflera dans quelques jours sa vingt et unième bougie, surmonte grâce au soutien et à l'appui indéfectible de sa famille. « Tous les membres de ma famille se sont mobilisés pour m'aider », raconte-t-elle, reconnaissante.
Le résultat final est remarquable. Parmi 2 000 films soumis, L'aveugle de la cathédrale figure sur la liste des dix films finalistes du Bluenose-Ability Film Festival, qui aura lieu au Canada au mois de décembre, dans la catégorie internationale des jeunes réalisateurs. Il est également sélectionné dans plusieurs festivals internationaux : au Voices Film Festival au Bahreïn, au Malmö Film Festival en Suède, au Sose International Film Festival en Arménie et au Chinese American Film Festival à Los Angeles, aux États-Unis. « Et il participera à la compétition du 21e Festival de Caminhos au Portugal », indique Nadine.
 
Transmettre un message, toucher le cœur et l'esprit du spectateur
La jeune fille qui, avant de s'inscrire à l'Institut des beaux-arts, a hésité entre l'audiovisuel et le journalisme confie que l'un de ses principaux objectifs, c'est d'atteindre le spectateur. Savoir que son film a « touché la personne qui l'a regardé, que celle-ci a pu s'y retrouver et y voir une réflexion de ses propres sentiments et pensées », compte beaucoup pour elle. « C'est une façon de mesurer l'importance du film chez l'audience. Et cela veut dire que mon film a rempli son objet principal », souligne-t-elle.
Au cours de sa formation en audiovisuel à l'UL, Nadine a réalisé deux autres courts-métrages. En deuxième année, le premier, intitulé Dans mon cocon, obtient une mention spéciale lors de la Journée cinématographique des étudiants de l'Institut national des beaux-arts, section 2. Son deuxième court-métrage universitaire, filmé en mandarin, est une adaptation de deux légendes de la mythologie chinoise.
Passionnée par le cinéma, Nadine se dit imprégnée par chaque film qu'elle regarde et « essaie d'en extraire la quintessence pour sa propre maturité et la maturité de son travail ». Parmi les films qui l'ont marquée, Nadine cite La Vita E Bella de Roberto Benigni. « Ce film qui repose sur un contexte de guerre, à savoir la Seconde Guerre mondiale, charrie un message d'une noblesse incroyable : un père prêt à tout pour le bien de sa famille, allant jusqu'au point de sacrifier sa propre vie pour son enfant. Le film, à la fois comique et dramatique, est l'un des films les plus touchants que j'aie vus », confie-t-elle.
Aujourd'hui, Nadine s'applique à perfectionner son expérience professionnelle à travers la réalisation de publicités et via la photographie. « Mon prochain projet sera bien sûr un court-métrage dont le sujet est en cours de réflexion. Je prévois aussi de continuer mes études supérieures en cinéma et réalisation. Et, surtout, j'aimerais travailler avec des réalisateurs internationaux pour atteindre une maturité pratique sur le plateau du tournage », dit-elle, avant d'ajouter : « Et ultérieurement, j'aimerais écrire et réaliser un long-métrage. »
La jeune réalisatrice avoue avoir beaucoup de rêves. « Le cinéma m'en donne plein ! » lance-t-elle, avant de conclure : « Le rêve est important, la réalisation effective aussi. J'espère que je pourrai réaliser ces projets et avoir toujours de nouvelles idées, car tant qu'on a des rêves, on est en vie et on est capable de progresser, de mûrir, de grandir et de changer le monde, modestement, grâce au cinéma et à l'art. »

Leila Saadé élue à la tête du Réseau francophone des femmes responsables dans l’enseignement supérieur et la recherche


C'est à l'unanimité qu'une cinquantaine de dirigeantes d'établissements universitaires et de recherche membres de l'AUF ont élu Leila Saadé présidente du bureau du Réseau francophone des femmes responsables dans l'enseignement supérieur et la recherche. Mme Saadé est la présidente de l'École doctorale de droit du Moyen-Orient, membre du conseil scientifique de l'AUF et professeure de droit à l'Université libanaise. Elle pilotera le réseau international de dirigeantes universitaires francophones établi en 2014 sous l'impulsion de l'AUF pour favoriser la parité hommes-femmes dans les postes décisionnels du milieu académique.
Outre sa présidente libanaise, le bureau du Réseau, mis en place lors de son assemblée constitutive qui s'est tenue à Paris le 16 octobre sous le parrainage de Michaëlle Jean, secrétaire générale de la Francophonie, comprend : Marie-Monique Rasoazananera, présidente de l'Université de Fianarantsoa et ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (Madagascar) ; Christine Clerici, présidente de l'Université Paris Diderot-Paris VII (France); Ramata Bakayoto-Ly, présidente de l'Université Félix Houphouët-Boigny (Côte d'Ivoire) ; Aïcha Derdour Hadj Mokhtar, rectrice de l'Université des sciences et de la technologie Mohammad Boudiaf d'Oran (Algérie) ; Smaranda Angheni, rectrice de l'Université Titu Maiorescu de Bucarest (Roumanie) ; Marie-Linda Lord, vice-rectrice aux affaires étudiantes et internationales à l'Université de Moncton (Canada), et Dominique Aurélia, vice-présidente déléguée aux relations internationales à l'Université des Antilles (France).

Un observatoire pour lutter contre les discriminations
« Notre objectif principal est de mettre en place un observatoire selon des critères établis par un comité scientifique », indique Leila Saadé. Une première action que le Réseau mènera pour promouvoir l'accès des femmes universitaires aux postes de responsabilité dans les institutions d'enseignement supérieur et de la recherche. « Nous voulons pousser les femmes pour qu'elles prennent une place de plus en plus importante dans le monde académique et de recherche, en luttant contre les discriminations auxquelles elles font face... Des discriminations subies mais aussi, et les Libanaises en savent quelque chose, des discriminations choisies », souligne la présidente du Réseau.
L'identification, le partage et la promotion de bonnes pratiques dans le domaine de l'égalité homme/femme au sein de l'espace francophone de l'enseignement supérieur et de la recherche et le renforcement de la coopération avec les réseaux d'aires linguistiques différentes poursuivant les mêmes objectifs figurent parmi les priorités du Réseau.
Pour familiariser les universitaires aux questions de genre et diffuser une culture égalitaire, le Réseau a lancé, en partenariat avec l'Université de Rennes, une formation à distance sur les concepts et les approches genre. « Les modules ont commencé au mois de novembre. Nous avons reçu 69 candidatures représentant les 812 institutions membres de l'AUF à travers le monde », précise Mme Saadé qui estime que la discrimination contre les femmes est universelle. « De la France au Liban, en passant par les pays africains et maghrébins, le problème est le même. Ce qui change, ce sont quelques spécificités propres à chaque pays. » Et de conclure : « Chacun tout seul ne peut rien. Mais tous ensemble, nous pouvons. Lorsqu'il y a une véritable volonté, les choses ne pourront que bouger. »

Sécurité routière : un jeune diplômé de l’Iesav réalise un spot efficace avec des enfants


Des centaines de Libanais meurent sur les routes chaque année. Souvent au printemps de leur vie. Alcool au volant, excès de vitesse, mauvaise signalisation routière, les causes diffèrent. Le résultat, lui, est le même. En une fraction de seconde, la vie de ces conducteurs, passagers ou piétons bascule. Celle de leurs proches aussi. Face à cette situation, Michael Abi Khalil ne voulait pas rester les bras croisés. Le jeune réalisateur, diplômé de l'Institut d'études scéniques, audiovisuelles et cinématographiques de l'USJ (Iesav) en 2013, particulièrement peiné par la mort de Martine Daher, jeune réalisatrice de 25 ans décédée dans un accident de la route à Jounieh au mois de juin, a voulu offrir à la société ce qu'il sait faire de mieux « pour contribuer à sa manière à la réduction des accidents de la route ». C'est ainsi que Learn from them est né, un spot de sensibilisation à la sécurité routière, d'une durée de trois minutes et demie, réalisé avec des enfants, loin des images violentes habituelles dans ce genre de production.
Ambiance candide et message fort
Une journée ensoleillée. Un parc. Et sur un tourniquet, des rires d'enfants. Naturels et espiègles, Ray, Reem, Mario, Owen, Enzo, Rachelle, Serena, Jeffrey et Cybelle se prêtent au jeu de Michael et répondent spontanément à ses questions. Comment conçoivent-ils leur avenir ? Les petits écoliers rêvent de devenir médecin, architecte, enseignant, ingénieur et « pompier parce qu'il sauve les animaux et les gens ». Dès les premières images et tout au long du spot, le spectateur est plongé dans une ambiance candide et enfantine, et cela grâce, en partie, à la musique de fond, au cadre du tournage ainsi qu'aux plans serrés sur les visages des enfants et leur langage corporel.
Puis, de derrière sa caméra, Michael lance une autre série de questions, sur la sécurité routière cette fois. « Les réponses pertinentes et correctes des enfants sont surprenantes », confie le jeune homme, impressionné par les connaissances des filles et des garçons sur les dangers de la route. Pour simuler les accidents, Michael utilise des véhicules en jouets. Mais le son qui accompagne ces images est, lui, réel : vrombissement de moteur, crissement de freins, choc métallique et bris de verre. L'effet est intense ; sans sang, sans victimes visibles, sans violence apparente.
« Dans leurs réponses, les enfants parlent de la vitesse, de l'airbag, du choc, de la mort, de la prière. Si la forme est enfantine, le contenu, lui, ne l'est pas », explique Michael. La dualité sur laquelle mise le jeune réalisateur est efficace. Le message, fort, s'adresse également aux enfants et aux adultes. « Dans le monde virtuel, en un seul clic, tout peut se réparer. Pas en réalité. Les enfants l'ont compris », souligne-t-il. Et de préciser : « Learn from them est divisé en trois parties. Après les questions sur les panneaux de signalisation et celles sur les risques routiers, au cours du dernier segment, chacun des enfants fait une promesse pour se protéger des accidents : respecter les limites de vitesse, éviter l'alcool au volant, se concentrer sur la conduite, ne pas utiliser son téléphone mobile en conduisant... » À travers leur serment, Michael voulait faire prendre conscience aux écoliers de leurs futures responsabilités en ce qui concerne la sécurité routière, et, ce faisant, le jeune réalisateur espère sensibiliser tous les spectateurs.

Toucher un plus large auditoire
Le jeune réalisateur qui veut « faire dans un proche avenir des courts-métrages qui transmettant des messages » s'intéresse depuis longtemps aux sujets ayant un impact social. Au cours de sa formation à l'Iesav, il a réalisé un documentaire d'une vingtaine de minutes sur le racisme. « C'est l'histoire d'un jeune Libanais qui épouse une aide domestique philippine. Il invite des gens de son entourage à la fête qu'il organise pour l'anniversaire de sa femme... »
Michael qui, malgré les difficultés rencontrées au début, a réussi à concrétiser – à ses propres frais – son idée, tient à remercier les membres de l'équipe de travail de Learn from them, tous bénévoles, Tania Kammoun, ingénieure de son, Élias Chikhani, vidéograffeur, et Carla Ezzo, productrice. « Je remercie également la Yasa, et particulièrement son fondateur Ziad Akl, cette organisation qui lutte depuis des années pour la sécurité routière au Liban et qui a partagé mon spot. »
Maintenant que son court-métrage de sensibilisation sur la sécurité routière a vu le jour, Michael Abi Khalil espère le voir projeter « dans les salles de cinéma, au cours de la bande-annonce qui précède la projection principale et à la télé, afin de sensibiliser le plus grand nombre de personnes ».
Pour voir le spot : https://www.facebook.com/yasa.org/videos/933463350022212/

La science de Talal Darjani, « entre Meyerhold et Stanislavski »

Maria-Christie Bakhos auprès de Talal Darjani, au Salon du livre arabe.
« Peut-on dire d'un journaliste, ou d'un chirurgien par exemple, qu'il est bon pour le Liban ? Non. Même chose pour le cinéma, il n'y a pas de films bons pour le Liban. Il n'y a que de bonnes ou de mauvaises productions », estime Maria-Christie Bakhos, professeure titularisée à l'Institut des beaux-arts de l'UL, qui vient de signer aux éditions Dar al-Farabi un ouvrage en deux volumes intitulé Talal Darjani : la dialectique de Stanislavski et de Meyerhold.
Il s'agit d'une étude scientifique de longue haleine à laquelle la jeune chercheuse s'est intéressée alors qu'elle était encore en licence, et qui a constitué l'essentiel de sa thèse de doctorat soutenue en 2012 à l'Usek. Travail qui lui a valu la mention très honorable avec les félicitations du jury.

Mettant en lumière la vision innovante et révolutionnaire du professeur Talal Darjani qui, dans ses œuvres dramatiques, a fusionné avec succès les approches de deux pionniers de la pédagogie théâtrale, Stanislavski et Meyerhold, longtemps considérés comme opposés, Bakhos décode dans son ouvrage l'expérience réussie du chercheur et metteur en scène libanais. Elle montre et explique l'évolution de son style en une nouvelle école susceptible de raviver et de révolutionner le théâtre libanais et arabe. « Joindre Stanislavski et Meyerhold est non seulement possible, c'est également très avantageux, avance-t-elle. L'approche conçue par le Pr Darjani permet de trouver des solutions à de nombreux problèmes auxquels est confronté un metteur en scène et qu'il ne peut pas résoudre en suivant uniquement l'une des méthodes précitées. » Et d'insister : « J'ai eu la chance de travailler avec le professeur Darjani en tant qu'actrice au début, puis comme assistante à la mise en scène par la suite. Je trouve que c'est de mon devoir de transmettre ce que j'ai expérimenté avec ce grand metteur en scène de calibre international qui a choisi de travailler au Liban. »

Une autre particularité du professeur Darjani, selon la chercheuse, est qu'il s'est intéressé aux œuvres de grands auteurs libanais. « Il s'est particulièrement investi dans la théâtralisation de la littérature libanaise, que ce soit à l'université ou dans des spectacles ouverts au public. Il a travaillé Gibran Khalil Gibran, Maroun Abboud, Youssef Habchi el-Achkar, Amin Maalouf, Fouad Kanaan et Mikhaïl Naïmeh. De grands auteurs libanais qui sont absents de nos chaînes de télévision », dénonce-t-elle.

Le théâtre comme outil de changementLa passion de Maria-Christie Bakhos pour le théâtre remonte à loin. Elle l'a poussée à explorer une grande partie de ce qui a été écrit sur le théâtre, que ce soit en arabe, en français ou en anglais. Complet, concret et pratique, son ouvrage représente un livre de références pour les spécialistes et les étudiants en art dramatique. « Il traite la réalisation, la direction des acteurs, la mise en scène, la scénographie, la dramaturgie », poursuit Mme Bakhos. Son étude peut également être utile au grand public, puisqu'elle lui offre les clés pour mieux appréhender les œuvres théâtrales.

Parlant des difficultés qu'elle a rencontrées lors de son travail de recherche, la jeune chercheuse évoque le manque de références pratiques sur le sujet. D'où son choix de rédiger sa thèse en langue arabe.
Maria-Christie Bakhos, qui travaille actuellement sur une autre recherche en lien avec les arts du spectacle, le goût artistique du public, ainsi que le rapport entre le créateur de l'œuvre et le récipiendaire, souligne le grand rôle que peut jouer la littérature ou le théâtre en particulier dans la transformation des sociétés. « Si on regarde le passé, on trouve que des civilisations entières ont été établies, des valeurs transformées, des révolutions complétées et des concepts ancrés dans la société grâce à la littérature et, plus particulièrement, au théâtre », indique-t-elle. Et de conclure avec amertume, en dénonçant le traitement souvent superficiel de thèmes sociaux importés, étrangers à nos sociétés : « Au Liban, nous avons un grand problème : à l'exception, bien sûr, de quelques grands réalisateurs, nos œuvres dramatiques, que ce soit au cinéma, à la télévision ou au théâtre, ne traitent pas les sujets tabous, les vraies problématiques, ni ce dont souffrent vraiment nos sociétés. »