Coupure de presse: Al-Anwar le 13 / 12 / 2007

(رواية رلى عازار دوغلاس: (عندنا كان الصمت مطبقاً

صدر للصحافية اللبنانية الكندية رُلى عازار دوغلاس روايتها الأدبية الأولى باللغة الفرنسية (عندنا كان الصمت مطبقاً) Chez nous, c'etait le silence.
الرواية تحكي قصة من صميم الحياة اليومية للبنانيين خلال الحرب في لبنان، وتحديداً في منتصف ثمانينات القرن الفائت، حيث تسرد الكاتبة مأساة الحياة الشخصية لإمرأة شابة من الطبقة الوسطى تتخبط في آتون الأحداث بين زوجها القاسي والعنيف والبخيل وطفليها الصغيرين والمشاكل الناجمة عن الحرب وعن واقعها الشخصي المرير.
والرواية تتناول مشاكل عانت منها معظم العائلات اللبنانية - حتى لا نقول جميعها - من تدهور قيمة العملة الوطنية، الى السعي لإيجاد حياة أفضل في الغربة، وتحديداً في كندا، الى الآثار المدمرة للأحداث الأمنية...
وللرواية جانبها الإجتماعي العميق الذي لا يخلو من العاطفية، حيث أنها تقدم سرداً واقعياً للعلاقة بين الرجل وزوجته والعنف الجسدي والمعنوي الذي يمارسه الزوج على امرأته وأولاده، مع عجز الزوجة عن الدفاع عن نفسها إلتزاماً منها بالتقاليد العائلية والإجتماعية القديمة. وتصف الرواية هذه التقاليد بالبالية، حيث لا تجد بطلة القصة نجاتها سوى بالهجرة وترك وطنها...
وتلقي الرواية إضاءة لافتة على العمل الرائع والبطولي الذي يؤديه المتطوعون في الصليب الاحمر اللبناني من خلال وصفها لشاب يسكن في جوار بطلة القصة ويقدم اليها كل العون المطلوب عندما تبرز الحاجة، ولا يتردد في تعريض حياته للخطر لأداء رسالته الإنسانية.
وتنتهي الرواية ببصيص نور وأمل للبطلة قد يفتح المجال لديها لتعيش حياة أفضل وإعادة إكتشاف مشاعر الحب التي طالما إفتقدت اليها.
والكتاب مصاغ بلغة فرنسية بليغة، ولو أنها سهلة الفهم، وهو مفعم بالعديد من العبارات اللبنانية المحكية لدى ذكر الحوارات بين الشخصيات.
يتألف الكتاب من 176 صفحة من القطع الوسط، ويتميز باخراجه الأنيق للغاية، وهو من إصدار دار نشر ضرغام.
ميشال توفيق دحدوح

L'Orient le jour mercredi 28 novembre 2007 5:00 Beyrouth

SIGNATURE - Ce vendredi 30 novembre, à 18h00, au stand Antoine de l’ABC
« Chez nous, c’était le silence » de Roula Azar Douglas : un roman dénonciateur de la violence conjugale
L'article de Zéna ZALZAL




C’est un premier roman aux forts accents de témoignage. Un livre qui aborde un sujet tabou, mais hélas bien réel, la violence conjugale. Dans « Chez nous, c’était le silence », qui vient de paraître aux éditions Dergham, Roula Azar Douglas dénonce, au moyen d’un habile mélange de réalité et de fiction, le sort des femmes victimes d’un mariage malheureux.

Un thème douloureux que cette journaliste à Magazine, spécialisée dans les sujets sociaux, portait en elle depuis longtemps. Car « cette histoire est vraie. Elle est inspirée du vécu d’une personne qui m’était chère et qui est aujourd’hui décédée. En témoignant de son calvaire, j’ai voulu en quelque sorte lui rendre hommage. Et en imaginant, dans la seconde partie du livre, une autre issue à sa vie, plus heureuse, j’ai voulu donner aux femmes qui expérimentent cette violence l’envie de se battre contre leur destin d’épouses battues ! » affirme Roula Azar Douglas.
Car elles sont plus nombreuses qu’on ne le pense, ces femmes qui ont fait le mauvais choix, qui ont tiré le mauvais numéro à la loterie du mariage et qui se retrouvent victimes silencieuses de sévices corporels et psychologiques. Victimes d’un mari violent, agressif et cruel. Mais aussi victimes d’une multitude de peurs qui les poussent à garder le silence. À se résigner. Peur du qu’en-dira-t-on, du jugement des gens, des représailles – encore plus fortes ! – du mari, peur de ne pouvoir subvenir toutes seules à leurs besoins et à ceux de leurs enfants, ou encore peur de ne pas être crues, le mari-bourreau jouant souvent à l’homme charmant en société.
« Elle l’a provoqué », entend-on souvent dire d’une femme qui a déclenché la fureur de son époux. C’est justement du contraire que témoigne Roula Azar Douglas, en décrivant, à travers ce rapport dominant-dominé, des scènes de violence totalement gratuites et injustifiées.
Des scènes, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, tout à fait véridiques, que l’auteur dépeint sans complaisance d’aucune sorte, d’un ton juste. Un style simple, humain, ni larmoyant ni froid, qui contrebalance ainsi la dureté d’un sujet d’autant plus éprouvant que cette histoire de « guerre conjugale » se déroule, dans les années quatre-vingt, en pleine guerre libanaise.
À travers Chez nous, c’était le silence, Roula Azar Douglas espère aider à briser cette loi du silence érigée par la honte et la peur. Elle espère que ce roman vrai, élaboré à partir d’un cas réel, étayé de recherches approfondies sur la violence conjugale ainsi que sur les événements de guerre qui y sont décrits, puisse pousser « ne serait-ce que quelques femmes à se battre contre leur sort, à briser la chape de la résignation et à prendre en main leur avenir », dit-elle, avec un fort accent de sincérité.
Il semblerait d’ailleurs qu’elle ait toujours rêvé de changer le monde, Roula Azar Douglas. Ou du moins d’améliorer la vie de quelques personnes. En se destinant à la médecine d’abord, « pour essayer de combattre la maladie, le cancer... », dit-elle. Puis par la plume, lorsqu’ayant dû interrompre ses études de biologie à l’AUB pour cause de guerre, d’émigration au Canada et de rencontre avec son mari, elle se tournera – après un bref passage par des études bancaires – vers le journalisme et le reportage social.
Entre-temps, rentrée au Liban, Roula Douglas, qui vient de décrocher son DESS de journalisme, carbure plus que jamais à cette « envie d’écrire, d’exprimer et de partager » ses opinions. Un désir d’expression qui – d’articles de presse en romans (le second également inspiré d’un cas social est en route) – porte cette femme à la fois sensible et forte.

Zéna ZALZAL

Il pleut sur Beyrouth

Il pleut depuis des jours sur Beyrouth. Sur cette terre lacérée, meurtrie, éternellement condamnée à chercher son identité. Toujours menacée de cancer, de gangrène ou d’autres maux viscéraux dont elle ne pourra échapper. Est-ce un excès de pessimisme ou plutôt un sursaut de lucidité, un réalisme nouveau pour moi ? Comment pourra-t-on faire de cette terre une nation, quand la population n’admet pas un patrimoine commun, ne perçoit par le présent de la même façon ni ne cultive une même vision de l’avenir ?
Peut-on comme peuple, une fois pour toutes, se débarrasser de l’épaisse fumée du passé qui bloque toute réflexion profonde et sérieuse de notre part ? Ne peut-on, une fois pour toutes, se débarrasser des sentiments de haine, de peur de l’autre qui nous enchaînent et nous paralysent ? Ne peut-on, une fois pour toute, oublier pour un instant, toute appartenance partisane, dogmatique, idéologique et se concentrer uniquement sur la terre de nos aïeux, cette terre que nous rêvons de transmettre à nos enfants et à nos petits enfants. Ne peut-on pardonner ? Et surtout, surtout, ne peut-on se libérer de ces « maîtres » que beaucoup de libanais idolâtrent et suivent comme des gourous ? Ne peut-on les voir avec un esprit critique tel qu’ils sont réellement, « ordinaires » avec certaines qualités certes, mais aussi avec de graves et parfois fatals défauts ? Ne peut-on pas, pour une fois, couper ce cordon qui nous rattache à ce cercle vicieux d’obscurantisme et de violence et apprendre, évoluer, voler, se libérer et avancer vers un avenir radieux ? Ne peut-on tous chanter en cœur Khalass ! , et se diriger vers la Lumière en ouvrant une page blanche ?


Roula Azar Douglas

Signature



Signature le 30 novembre , Librairie Antoine, ABC Achrafieh, 18 heures.

Livre disponible au www.antoineonline.com

“ Comment pouvez-vous….?”

Vivre au Liban n’est plus facile. Le danger ne se limite pas aux explosions. Le risque de maladies mentales est à son plus haut niveau. Le nombre de citoyens « border line » a atteint un sommet. On chavire au bord de la schizophrénie collective. Jouer la comédie, vivre normalement puis faire un soudain face à face avec la réalité, le temps d’une explosion, le temps d’une guerre, le temps d’un deuil…est très éprouvant. Sans compter « l’ingérence »
(bien ou mal intentionnée) de nos compatriotes d’outre-mer. « Comment pouvez-vous vivre dans ce pays de … ? », « Chez nous, (dans notre pays d’accueil), nous planifions nos vies à long terme…ce n’est pas votre cas.. »,
« C’est l’enfer, chez vous… », « Khalass, le Liban a définitivement changé ! »
Qu’est-ce qu’ils ont donc certains de nos chers frères et sœurs expatriés à vouloir nous décourager encore plus ? Qu’est-ce qu’ils ont à vouloir dénigrer le peu d’avantages qui nous restent, de vivre au pays des cèdres ? Qu’est-ce qu’ils ont à nous écraser à chaque email, à chaque sms, à chaque coup de fil ?
Pourquoi ne peuvent-ils savourer leur bonheur tranquillement sans se délecter de nos malheurs ? Pourquoi toujours critiquer « nos » défauts…et fermer les yeux sur les maints efforts que poursuit la société civile en vue d’améliorer la situation ?
Que de « pourquoi » ! Pour l’amour du ciel, arrêtons de nous juger les uns les autres, ceux qui quittent et ceux qui restent… Chaque libanais a sa propre logique et ses raisons. Respectons son choix.

Roula Azar Douglas

« Chez nous, c’était le silence »

« Chez nous, c’était le silence » est mon premier roman. C’est un livre qui dénonce la violence conjugale. Ce roman est un cri invitant toute personne à prendre le contrôle de sa vie et à refuser qu’on la maltraite ou qu’on la manipule. C’est un appel à l’action, à la vie, au bonheur.

La signature aura lieu au Salon du Livre de Beyrouth, au stand de la librairie Antoine, le 2 novembre 2007, à 6 pm.

La patrie dans le cœur

Un profond sentiment m’a submergée hier, m’a coupé le souffle, m’a fait pleurer. Mélange de fierté, d’amour et de patriotisme. Sentiment singulier de maternité et d’enfance. J’étais simultanément la mère et la fille du soldat libanais. Je meurs d’envie de le protéger, en même temps je veux qu’il me défende .Cette forte émotion a été déclenchée par une publicité à la télévision intitulée : La patrie dans le cœur. On y voit des femmes, des hommes, des enfants, arrêtant toute activité et saluant avec admiration un jeune soldat qui marche dans la rue. Le message est très réussi et très fort. Il m'a permis de réaliser l’ampleur et la force de mes sentiments envers notre armée nationale. Un immense respect pour chaque goutte de sang versée par nos soldats, pour chaque gouttelette de sueur qui perle sur leurs fronts, pour chaque larme qui coule sur leurs visages. Mon respect, mon amour et ma fierté transcendent ces hommes et englobent leurs familles. Je salue leurs mères, leurs pères, leurs épouses, leurs fratries, leurs enfants. Je les remercie. Je les serre contre mon cœur. Ils ont mon support et ma gratitude. Devant les familles éplorées par la perte d’un des leurs, je m’incline. Je me tais. Quelles paroles leur adresser ? Que dire à nos soldats blessés? Des mots impuissants mais très sincères : du fond du cœur, merci.

Roula Azar Douglas

Indépendance et responsabilité

Je ne me rappelle pas d’avoir étudié l’histoire récente du Liban, de manière détaillée et complète, dans un manuel scolaire. Ce qu’on nous apprenait à l’école consistait en une série de grands titres, vaguement abordés, de façon à ne pas érafler la susceptibilité d’une communauté donnée ou d’un groupe politique quelconque. Les mots ambigus choisis avec soin prêtaient à de multiples interprétations. Je ne me souviens d’aucun cours scolaire qui discute des évènements du vingtième siècle antérieurs ou postérieurs à 1943, année de l’indépendance du Liban. Je crains vivement que ce trou dans ma mémoire concernant l’histoire de mon pays, ne soit pas exceptionnel et qu’il ne reflète une lacune similaire dans la mémoire collective des libanais. Celui qui méconnaît son histoire, est condamné à la répéter. Un certain nombre de nos problèmes provient du fait que nous ne sommes pas capables de faire face à notre passé, d’où l’imminent danger de rater notre avenir. En 1922, 1941, 1946, 1958, 1961, 1969, et de 1975 à 1991, qu’est ce qui est réellement arrivé ? Aura –ton un jour une seule version objective, complète, honnête et transparente des faits qui ont marqué notre pays, qui ont forgé sa réalité d’aujourd’hui et qui affectent son avenir ? Mûrir c’est assumer ses responsabilités et affronter la réalité. Il est temps qu’on se débarrasse des tabous concernant l’enseignement de l’histoire contemporaine. Tout le monde est appelé à participer au développement d’une nouvelle approche de notre passé mais aussi de notre réalité présente. Apprendre l’objectivité, apprendre à appeler les choses en leur nom, apprendre à dire la vérité,
pour sauvegarder notre indépendance et la paix précaire au Liban. Tant que nous avons une vision restreinte, biaisée et incomplète de notre histoire, nous aurons une perception erronée de notre présent et donc de malheureuses influences sur notre avenir. Certains prônent l’idée que le fait d’en parler pourrait exacerber les divergences et les tensions entre communautés. Je ne suis pas d’accord. En laissant le terrain vacant, on l’expose à être envahi par d’indésirables ou de dangereux occupants. N’ayant pas de modèles pour comparer, analyser et juger, les jeunes n’auront d’autres informations que celles du leur milieu.

On a beaucoup misé sur les tables rondes des chefs politiques. Le peuple, lui, est marginalisé. Au lieu de confirmer la réconciliation nationale, il est utilisé et manipulé pour alimenter le public de tel ou tel politicien. Qu’est –ce qu’un gouvernement d’unité nationale quand les divisions au sein du peuple n’ont jamais été autant aiguillonnées ? Encourageons l’instauration d’une culture nationale permettant à nos enfants de développer une même représentation mentale de leur pays. Pour qu’adultes, ils n’aient pas besoin de recourir à des guerres civiles suivies de tables rondes (ou inversement !) pour décider du sort de leur pays. Une éducation civique est donc indispensable. Elle doit favoriser l’apprentissage de la communication, de l’acceptation de l’autre et doit édifier les bases d’une culture de la paix. La reconstruction du Liban doit être accompagnée d’une réfection du souffle national et des sentiments intercommunautaires chez les libanais en vue de l’édification d’une culture nationale. Le déni de certaines réalités nous empêche de faire des changements et de progresser. Il étouffe le Rêve Libanais et nous pousse vers un suicide collectif. En espérant arriver à une indépendance définitive des préjugés, des faussetés et de l’immaturité intellectuelle.

Roula Azar Douglas

Entre liberté d’expression et manque d’éthique

La question essentielle qui touche tout journaliste aujourd’hui est la suivante : « Où s’arrêtent mes droits de liberté d’expression ? » De mon côté, je me demande aussi : quels sont les devoirs des journalistes ? Sont-ils les gardiens de cet État de droit auquel nous rêvons tous ? La liberté d’expression peut-elle être utilisée comme prétexte pour passer des messages de désinformations ou d’incitation à la haine, ou de propagande partisane ?
Les réponses à ces interrogations données par la scène médiatique libanaise actuelle sont déplorables. Notre problème avec l’information n’est pas récent. Nous le vivons au Liban de façon de plus en plus significative, de plus en plus choquante et de plus en plus révoltante depuis deux ans ou presque. Les derniers mois, et surtout ces derniers jours, ont été le théâtre de nombreux faits qui doivent urgemment conduire à une mise en place d’un code de déontologie auquel tout journaliste digne de ce nom doit adhérer. Le fait que certaines de ces dérives ne soient pas intentionnelles ne diminue absolument pas la gravité du méfait. Se réjouir de l’assassinat d’un député représentant du peuple peut être considéré comme criminel pour un journaliste dont la mission première est le traitement de l’information avec honnêteté et respect. Cela sans parler des nombreuses informations et enquêtes qui abondent dans nos journaux ou sur nos chaînes de télévision, et qui révèlent une érosion des exigences en matière de vérification de l’information ou le recours à des experts non pertinents ou la promotion d’idées non véridiques. Que de débats télévisés manquent de sérieux, mais surtout d’informations nouvelles, crédibles et éclairantes sur les sujets débattus ! C’est à se demander à qui sert ce fossé creusé entre les attentes du public et la qualité des informations proposées. Une commission nationale qui se préoccuperait de dresser les fondements même de la déontologie des journalistes, de leurs droits et devoirs est plus qu’indispensable, surtout dans cette période d’obscurantisme où il y a confusion entre information et promotion.

Roula AZAR DOUGLAS

Non, je n’ai rien oublié

Non, je n’ai rien oublié.

Il y a quelques années, je pensais que mes souvenirs s’étaient estompés jusqu’à s’effacer complètement devant les jours qui passent, devant mes voyages et mes nouvelles expériences, devant mon bonheur de vivre, devant mon mariage, devant les rires de mes deux garçons.

Non, je n’ai rien oublié.
Il a suffi d’un son, d’une image, d’une odeur, d’un incident, d’un 12 juillet pour que je me rende compte que tout est là, intact. Intactes sont les images d’horreur, intacte est la peur qui me dévore de l’intérieur, intact est le dégoût face à cet aspect Mister Hyde dans chaque être humain, intact est le désespoir qui surgit sans avertissement et tente inlassablement de m’attirer au fond d’un gouffre sans fond, intact ce rejet de toute forme de violence même verbale, intacte cette phobie de toute personne en uniforme, intacte cette angoisse de la mauvaise nouvelle à chaque sonnerie du téléphone.

Non, je n’ai rien oublié.
Je me souviens d’événements que j’aurai peur de rapporter par crainte que mes enfants ne les lisent, par crainte que d’autres enfants ne les lisent. Mais, finalement, c’est pour ces enfants que je vais exorciser les démons de la guerre. C’est pour éloigner le spectre d’une nouvelle guerre civile que je vais écrire... Je me souviens de ce jour d’été, il y a plus que vingt-cinq ans, alors que j’étais encore une enfant. J’entends un bruit métallique répétitif suivi par les cris de mes sœurs cadettes, Rania et Rima. Je revis cet étrange sentiment qui m’envahit : un mélange de peur et de curiosité. Je cours au balcon de notre appartement, au premier étage d’un immeuble à Achrafieh. Et je m’arrête net. J’ai l’impression que si je tends la main, j’arriverais à toucher ce char qui s’ouvre difficilement un passage dans les ruelles de mon quartier. Tout est figé. Le temps s’est arrêté. Le sang glacé, les yeux exorbités, je regarde horrifiée, sans vraiment comprendre. Soudainement, après ce qui me semble être une éternité, je reprends contact avec la réalité. Les doigts glacés de ma mère qui me serrent le bras me font froid, j’entends sa voix durcie par l’angoisse et la peur : « Roula, rentre vite au salon ! » Ce qu’elle me dit résonne dans mes oreilles, mais ne rencontre aucun écho dans mon conscient. Mes jambes sont molles. Elle n’a d’autre choix que de me pousser vers l’intérieur. Je ne suis pas capable de discuter avec elle de ce que j’ai vu. La nuit, je n’arrive pas à m’endormir. Et malgré les murs qui séparent notre chambre de celle de mes parents, j’entends clairement une partie des propos qu’ils échangent :
– « Antoine, les filles ont tout vu ! Ces monstres ! Ces brutes ! Ces barbares ! Ils traînaient un homme sur la chaussée, derrière le tank ! Il avait les poings et les pieds liés !...
 – Calme-toi Robine. Ne réveillons pas les filles. »

Je me souviens, comme si c’était hier, de la panique de mes camarades de classe à Zahret el-Ihsan quand, lors d’un cours d’histoire, une pluie d’obus s’est abattue sur Achrafieh. Je ressens ma peur et mon angoisse. Je me rappelle très bien de la frénésie des enseignants et des religieuses cherchant à mettre de l’ordre dans la ruée des élèves hors des classes et les dirigeant vers la cantine pour s’abriter. Je vois leurs visages blêmes quand ils se sont rendu compte qu’à la cantine, il y avait de grosses bonbonnes de gaz rendant l’endroit dangereux. Je vis encore ce soulagement ressenti à l’arrivée de papa. Il me serre la main très fort comme s’il a peur de me perdre. Je me rappelle du retour à la maison. Ce chemin, mille fois emprunté, mais qui, ce jour-là, semble se dilater indéfiniment...

Je me souviens des yeux confus et évasifs d’une copine, après une semaine d’absence de l’école. Je pense à l’attroupement des camarades autour d’elle, ne sachant quoi lui dire ni comment la consoler. J’entends leur chuchotement : « La pauvre, son père a été tué par l’explosion d’une voiture piégée. »

Je me souviens de longues nuits passées à l’abri, dans la pénombre et l’humidité. Je me souviens des heures interminables, accrochée au combiné du téléphone, priant pour la sécurité des proches et amis, attendant la ligne qui ne « vient » pas...

Je me souviens de mon « bizarre » réveil une certaine nuit de septembre. Je me rappelle des mots exacts pour ma sœur : « Rania, tante Ramona est morte. » Personne ne me l’avait dit, mais je le savais. Je vois encore la frustration de ma famille de ne pas pouvoir assister à l’enterrement ; Achrafieh étant assiégé. Plus tard, à plusieurs reprises, Rania et moi avons cru la rencontrer au coin d’une rue avant de nous rappeler qu’elle est « partie ». À chaque visite de condoléances, mes sœurs et moi captions des bribes de conversation des « grands » : la tasse de café turc est restée intacte sur sa table de chevet ; elle est morte dans l’abri, avec tous ses voisins ; l’abri était mal construit ; elle ne voulait pas quitter Achrafieh par crainte de perdre son emploi à la banque, elle avait 40 ans...

Je me souviens de nos fuites sous les bombes vers le port de Jounieh, des petites chaloupes empruntées dans la nuit noire, de l’échelle-corde au-dessus de la mer sombre qu’il fallait emprunter pour prendre le bateau de commerce, en pleine mer. Je me souviens des chansons militaires à la radio, des photos de jeunes martyrs aux murs de ma ville, des sirènes des corbillards mortuaires. Je me rappelle des lamentations, remplacées plus tard par des gémissements d’une voisine meurtrie par la perte de son fils de 18 ans et que nous entendions pendant des mois, chaque nuit, quand le silence se faisait dans notre quartier. Je me souviens de cette dernière image que j’ai de la guerre civile dans mon pays : je vois le trottoir devant notre immeuble, à Acharfieh, envahi par nos amis, nos proches et nos voisins ; je vois les larmes sur leurs joues ; je vois leurs gestes d’adieu et je me revois avec mes parents et mes sœurs prenant place dans ce taxi qui nous emmenait vers l’aéroport. Dans la voiture, personne n’osait prendre la parole par peur d’éclater en sanglots. C’était le 16 juin 1990 et nous fuyions vers le Canada...

Roula Azar Douglas

La vie triomphera

Cent . Des milliers. Un million de libanais ont quitté la terre de leurs ancêtres . Laissant derrière eux la famille , des amis , des collègues , toute une vie . Fuyant l'insécurité et le spectre de la guerre et cherchant ailleurs d'autres cieux plus cléments .Changements majeurs , solitudes , difficultés au début puis adaptation , progrès et réussite par la suite dans la plupart des cas. Des années ont passé. Certains chemins se sont croisés. D'autres pas. Cependant ils ont tous en commun ,l'amour d'une patrie, le Liban , terre de miel et d'encens.


Dès les premiers indices de beau temps libanais , tels des oiseaux migrateurs , beaucoup sont retournés . Des mères et des pères de famille , des économistes , des enseignants , des ingénieurs , des banquiers, des coiffeurs, des étudiants . Par milliers , ils sont revenus , grands et petits ,les yeux larmoyants et le cœur battant. Ma famille et moi en faisons partie. Nos enfants grandiront au Liban.

Ces derniers mois n'ont pas été toujours faciles. Violences ,Tension , stress , peur, incertitude . Beaucoup de proches et certains amis , dès les premiers jours de notre retour , ont sonné le glas." Franchement , vous ne regrettez pas d'être retournés ? "
Sincèrement , nous ne regrettons pas. Nous avions le choix et nous avons librement opté pour le Liban .

Notre pays n'est pas une illusion. Sa constitution a coûté et coûte toujours cher en termes de martyrs , de sacrifices et de pertes de toutes sortes . Guerres , conflits , paix précaire ont marqué son histoire. Que de larmes , que de frustration , que de déception dans ce long et difficile chemin vers l'état de droit , vers le pays souverain et indépendant auquel nous aspirons tous.
Cette terre n'est pas seulement notre droit , c'est aussi notre devoir envers nos enfants . Ne l'abandonnons pas. Ne baissons pas les bras. Luttons chacun dans son domaine. Battons-nous pour la réalisation de notre rêve le plus noble , l'édification de notre pays. Inculquons à nos enfants l'amour de la Paix , du Droit et de la Liberté . Eveillons-les aux valeurs de la Démocratie , de l'Égalité , de la Tolérance et du Respect de l'autre . Ne renonçons pas à nos rêves .Et surtout ne les troquons pas contre d'autres étrangers à nos désirs. Chassons le défaitisme et la résignation de nos vies . Armons notre société de volonté , d'initiatives, d'organisations. Renforçons notre détermination , notre esprit critique et notre foi. Ne baissons pas les bras. Au bout des ténèbres , la lumière jaillira.

Roula Azar Douglas.

Matière à réflexion

Comment sortir de la grave impasse dans laquelle nous végétons ? Où trouver les solutions aux problèmes cardinaux auxquels nous sommes confrontés dans nos frêles tentatives de faire un pays de cette terre de miel et d’encens ?
Dans ma quête de réponses, je suis tombé sur bon nombre d’idées, fruits de longues réflexions de penseurs et d’écrivains, qui depuis le début des temps, se sont penchés sur la condition et la vie humaines. Comme leurs pensées reflètent la réalité de nos jours, et ce malgré les différences d’époque, de géographie, de contexte, de culture, et d’idéologie !

Ce qui suit est un échantillon de citations ô combien applicables à notre situation politique et sociale.

Albert Einstein :

« Je méprise profondément ceux qui aiment marcher en rangs sur une musique : ce ne peut être que par erreur qu’ils ont reçu un cerveau ; une moelle épinière leur suffirait amplement »

« La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent. »

René Descartes :

« Je ne suis pas de ceux qui estiment que les larmes et la tristesse n’appartiennent qu’aux femmes, et que, pour paraître homme de cœur, on se doive contraindre à montrer toujours un visage tranquille »

Victor Hugo :

« Il faudrait faire pénétrer de toutes parts la lumière dans l’esprit du peuple : car c’est par les ténèbres qu’on le perd »

Jean Anouilh :


« Qu’est-ce que gouverner le monde […] sinon faire croire à des imbéciles qu’ils pensent d’eux-mêmes, ce que nous leur faisons penser ? »

Jean-Paul Sartre :


« L’important n’est pas ce qu’on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous »

Milan Kundera :


« Selon la manière dont on le présente, le passé de n'importe lequel d'entre nous peut aussi bien devenir la biographie d'un chef d'État bien-aimé que la biographie d'un criminel. »

« [...] les mouvements politiques ne reposent pas sur des attitudes rationnelles mais sur des représentations, des images, des mots, des archétypes dont l'ensemble constitue tel ou tel kitsch politique. »

Albert Brie :


« Campagne électorale : Hostilités portées sur la place publique par les partis politiques, et menées avec les armes conventionnelles du mensonge, du vol, de la haine, du préjugé, du fanatisme, de la calomnie, de la bassesse et de la canaillerie. La lutte se termine ordinairement par la victoire du parti qui a su faire le plus éclatant usage de ces vertus démocratiques. »

Anonyme :


· « Quand vous écoutez un discours politique, il faut, comme à la chasse, tenir compte du vent. »

Roula Azar Douglas

Désastre politique libanais, en parabole

De jeunes universitaires , organisent ,sous d'étroites directives de leur maître ,une excursion en ville pour une mission scientifique. Motivés par leur passion , les jeunes partent emballés, animés par leurs visions des futures découvertes qu'ils feront. D'autres jeunes provenant de milieux différents participent à ce projet . Mais pour de nombreuses raisons, leur projet scientifique tourne au désastre. Assumant qu'ils seraient seuls dans le champ, ils entrent en collision frontale avec d'autres étudiants, non concernés par la mission scientifique et travaillant sur un autre projet. De graves confrontations éclatent dans différents points de la ville. Résultat: blessés et tués des deux bords. Les jeunes rentrent ensanglantés chez eux, la mine défaite, les mains vides .
Le maître dans son allocution à l'université le lendemain affirme que la journée de la veille était réussie.
Les jeunes n'ont pas seulement perdu leur projet , ils n'ont pas seulement perdu un des leurs , ils n'ont pas seulement essuyé des blessés , ils n'ont pas seulement participé à d'infertiles confrontations causant la mort et des blessures chez les autres ,ils ont perdu la chance de développer proprement la capacité d'assumer leurs responsabilités , la possibilité d'évaluer froidement et objectivement leurs actions . Au lieu que cette expérience ne soit au moins profitable comme apprentissage, le maître en voulant sauver son image , leur a volé l'unique bénéfice potentiel de cette activité , la responsabilisation. L'ego du maître doit être moins important que la sécurité et l'avenir des jeunes.

Roula Azar Douglas

Bonne année 2007 !

Un jour , tôt ou tard , chaque enfant , dans son chemin vers l'age adulte s'affranchit du rêve du père Noël ,de ses cadeaux , de ses gros rires et de son traîneau volant. Idéalement , ceci ne doit pas atténuer pour autant la magie des fêtes ni l'éclat des lumières du sapin de Noël. Se développer sainement et vivre d'une façon équilibrée c'est maintenir toujours et en dépit de toutes les difficultés, la part du rêve intacte dans notre vie et au sein de nos familles. Ce que j'espère pour mes compatriotes, libanais et libanaises,en ces jours difficiles, est de lutter encore et encore , sans se lasser , ni baisser les bras ,contre la désespérance qui sourdement cherche à s'infiltrer dans chaque foyer. Barons la route au spleen et au désespoir. Chassons les définitivement de nos maisons et de nos vies et gardons toujours au fond de notre esprit une lueur d'espoir. Pas une illusion naïve et éphémère qui en vacillant, risque à chaque fois de nous plonger plus profondément dans les ténèbres mais plutôt une petite lueur douce mais forte et permanente , une lueur qui résiste aux obstacles et aux ennuis , une lueur qui provient de notre foi en l'être humain , en sa volonté de subsister et en son amour de la vie . À tous , je souhaite une bonne année , pleine d'espoir . Un jour l'aube pointera sur notre pays.



Roula Azar Douglas