À l’USJ, les jeunes se penchent sur les droits bafoués des femmes

C'est en incitant les étudiants et les étudiantes à la réflexion, en les poussant à développer leur sens critique et en leur donnant l'occasion d'argumenter et de s'exprimer sur divers sujets en lien avec l'équité et l'égalité entre les genres, que le Club des droits de la femme de l'USJ, Béryte l'Écho des cèdres et le Club libanais de débat ont marqué la Journée mondiale des droits des femmes. « Le lundi 8 mars, nous avons organisé au campus des sciences sociales, avec le soutien de la Bibliothèque et en collaboration avec la faculté de droit et de sciences politiques, la vie étudiante et le Fonds Joseph et Laure Moghaïzel, des joutes oratoires plaçant face à face des étudiants défendant des points de vue opposés sur des thèmes que nous avons prédéfinis », explique Hiba Kanso, étudiante en droit et présidente du Club des droits de la femme de l'USJ. Les sujets proposés par les jeunes organisateurs sont le droit des femmes de transmettre la nationalité, la parité, la suppression des distinctions fille/garçon dans les magasins de jouets et le congé de paternité. Un exercice intellectuel et oratoire très constructeur pour les citoyens en devenir. « C'est particulièrement difficile lorsqu'on demande aux étudiants de défendre des points de vue contraires à leurs convictions », poursuit Hiba.

Transmettre la nationalité, le droit de tout citoyen
Parlant de la parité, un étudiant construit son argumentation sur « des études qui démontrent que la femme peut être plus créative et peut donner plus que l'homme ». La réponse de Hiba : « La supériorité, qu'elle concerne les hommes à l'égard des femmes ou l'inverse, nous éloignera de la parité. L'égalité ne peut pas être subjective. »
« Reste que le sujet qui a suscité le plus de discussions parmi les étudiants est sans doute le droit des femmes de transmettre la nationalité », poursuit la jeune étudiante de 21 ans. Parmi les arguments évoqués par les étudiants qui défendent ce droit figurent les multiples discriminations que vivent les enfants de mère libanaise mariée à un étranger telles que le manque d'accès à une éducation gratuite et les obstacles qu'ils rencontrent lorsqu'ils veulent intégrer le marché du travail. Les étudiants qui s'opposent à ce droit avancent, eux, des raisons politiques, « celles qui enflamment la région : le confessionnalisme et l'évolution de la démographie », précise la jeune avocate en devenir qui insiste : « Le droit de transmettre la nationalité est un droit naturel intrinsèquement lié à l'identité citoyenne de tout individu. »
En conclusion, la présidente du Club des droits de la femme souligne l'importance de tels événements pour attirer l'attention des étudiants sur des thèmes en lien avec la société et pour les sensibiliser sur l'égalité entre les genres. « L'activité que nous avons organisée a encouragé les jeunes à réfléchir collectivement et individuellement, et leur a permis d'échanger calmement et de manière constructive sur des thèmes importants non seulement pour les femmes, mais pour toute la population car ayant un impact direct sur le développement du pays. »

Nagham Chébly, une belle voix très prometteuse

En lui donnant son prénom, qui signifie en arabe mélodie, ses parents ne se sont pas trompés. Dotée d'une belle voix, passionnée par la musique, la jeune étudiante en relations publiques à l'UL aspire, à vingt et un ans, à devenir chanteuse. Un rêve qui n'a rien d'illusoire pour la talentueuse femme vu ses prédispositions vocales – bel héritage du côté maternel de sa famille – auxquelles s'ajoutent une volonté farouche d'apprendre et de s'entraîner, et un enthousiasme déterminé, alimenté par les encouragements de ses proches, amis et professeurs de chant.
« La musique, c'est ce qui m'émeut le plus dans une chanson. En chantant, j'essaye, avec ma voix, de vivre la mélodie », confie la jeune étudiante. Et évoquant la première fois où elle s'est retrouvée devant le micro face au public, elle raconte : « C'était à l'école, au cours de la célébration de la fête de l'Indépendance. J'étais en classe de première. » La jeune adolescente avait alors interprété la chanson Yabni (mon fils) du grand Wadih el-Safi. Sa belle voix et l'émotion qu'elle a réussi à susciter ont rapidement séduit l'audience. « Tout le monde a aimé ma performance. Cela m'a beaucoup motivée », se souvient Nagham Chébly.
Sous les encouragements de son frère, « lui aussi doté d'une belle voix », la jeune femme originaire de Marjaba dans le Metn s'inscrit au Conservatoire national de musique, en chant oriental. « J'ai attendu d'avoir terminé mes études à l'école secondaire de Dhour Choueir avant de suivre des cours de chant », précise-t-elle, en expliquant qu'au début sa mère hésitait à l'encourager à prendre cette voie. « Elle avait peur de ce domaine. Mais les choses ont changé depuis », ajoute-t-elle dans un sourire.

Un premier pas pour se faire connaître
« Mes cours au conservatoire m'ont aidée. Et ma voix a beaucoup évolué », souligne la chanteuse en herbe qui s'investit également dans l'apprentissage du oud.
Sur la page Facebook que Nagham Chébly vient de créer « pour se faire connaître », ses vidéos, dont la majorité sont enregistrées en mode « selfie », plaisent beaucoup aux internautes ; en témoignent les milliers de vues et les nombreux likes, partages et commentaires. Son interprétation de la chanson Yabni de Wadih el-Safi, par exemple, a été vue plus de 9 250 fois. Une vraie bouffée d'oxygène, une note d'espoir, en ce temps de la médiocrité, des chanteurs sans talent et des paroles vides de sens. « Je choisis des chansons qui conviennent à ma voix. Et, le plus souvent, j'enregistre la vidéo seule dans ma chambre », poursuit-elle.
Aujourd'hui, Nagham Chébly souhaite se présenter au concours de chant télévisé The Voice. « Le travail de préparation prend beaucoup de temps. Ma tante écrit les paroles de la chanson que je vais interpréter, et un ami, compositeur, s'occupe de la musique », révèle Nagham.
Dans tous les cas, si elle dit avoir choisi le domaine des relations publiques « par hasard », Nagham Chébly semble être prédestinée à la chanson.
Pour découvrir le talent de Nagham: www.facebook.com/Nagham-Chebly-1646443298954288/ ? fref=ts

Lama Daccache, une jeune femme qui se bat « pour rendre le monde habitable et humain »

Motivée, déterminée, pragmatique et méthodique, elle ne fait pas les choses à moitié, Lama Daccache. La jeune femme, qui occupe depuis janvier passé le poste d'agent de développement de projet chez Jeunesse contre la drogue (JCD), a brillamment complété, après l'obtention de sa licence en gestion des affaires en 2010, une série de formations spécialisées, au Liban et ailleurs, en lien avec le domaine social. Une voie à laquelle ne se destinait pas la jeune étudiante, mais dans laquelle elle s'est résolument engagée suite à un premier emploi à temps partiel au centre libanais de dramathérapie, Catharsis, qui l'a introduite à l'âge de 19 ans dans les prisons libanaises. « J'ai rapidement réalisé qu'il y a un grand manque dans le secteur humanitaire au Liban. Et si, au début surtout, je revenais remuée de mes rencontres avec les détenus, j'y ai également beaucoup appris sur la nature humaine et sur l'impact positif que l'on peut avoir sur les autres », confie-t-elle d'une voix sûre.
En 2009, alors qu'elle est encore en licence, elle devient coordinatrice puis chef de projet chez Catharsis. Fonction à temps plein qu'elle occupera jusqu'en 2015. Réaliste, ambitieuse et assidue, Lama sait que pour pouvoir travailler efficacement dans le secteur humanitaire, « on doit acquérir de nombreuses compétences spécialisées ». La jeune étudiante s'inscrit à la LAU en renforcement des capacités pour les ONG et obtient en 2013 son diplôme d'études supérieures avec distinction. En 2012, une bourse d'études lui permet de compléter sa formation aux Pays-Bas sur la gestion des ONG. Et, en 2014, avec le soutien de l'ambassade du Danemark au Liban, elle suit un programme de formation au dialogue interreligieux et interculturel qui l'emmènera à Copenhague et à Istanbul. « Toutes les ONG doivent compter parmi leurs personnels des employés formés sur les différences culturelles et religieuses. Sinon comment pourront-elles travailler d'une manière efficace avec des gens d'origines, de milieux, de confessions, de cultures, de classes sociales, de niveaux d'éducation différents ? » souligne Lama pour laquelle la formation continue est une nécessité aussi bien pour son développement personnel que pour son travail. La jeune femme qui vient de décrocher en ligne, auprès d'une plateforme éducative reconnue, un certificat sur l'intelligence émotionnelle s'indigne : « Aujourd'hui, pistonnés, les gens intègrent des ONG lorsqu'ils ne trouvent pas du travail dans leur domaine de formation en affaires ou en génie. Et les ONG se retrouvent incapables de travailler correctement car leurs employés ne sont pas formés au travail social. Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi les universités libanaises ne s'intéressent pas à ce domaine, pourtant très florissant au Liban, et appelé à le rester pour les dix prochaines années. »
Une empreinte positive
Parallèlement aux tâches liées à son poste à JCD – de la rédaction de propositions à la gestion des projets, en passant par le financement–, Lama a entrepris d'animer des sessions de sensibilisation sur les stupéfiants, leurs effets et leurs symptômes. « Nous avons commencé avec les membres de la Sûreté générale ; ils sont les premiers qui entrent en contact avec les toxicomanes arrêtés. Souvent ils ne connaissent rien aux substances psychoactives. Si, par exemple, un jeune est sous l'effet de l'héroïne et qu'il est battu à son arrestation, les séquelles risquent d'être très graves et de perdurer à vie », précise-t-elle.
La jeune femme, qui a une expérience de huit ans dans le domaine social, est souvent confrontée aux idées fausses que les gens véhiculent. « Ils pensent que leurs enfants sont à l'abri de la drogue car "ils les élèvent bien", car ce sont uniquement "les fort aisés ou les très pauvres" qui en consomment, que "les gens éduqués ne risquent pas d'aller en prison". » Or la réalité est tout autre. « Le fléau de la drogue envahit nos universités. » Et « dans nos prisons, toute la diversité de la société est représentée. »
De nature sociable, Lama a de nombreux amis. Ces derniers travaillent le plus souvent dans des secteurs très éloignés du domaine social. Cela n'a pas empêché la dynamique jeune femme d'en impliquer une vingtaine dans une action solidaire. « Nous avons créé une sorte de club – avec une page Facebook privée et un groupe sur WhatsApp – pour venir en aide aux familles démunies dans la région du Kesrouan. » Chaque trois mois, Lama collecte 100 dollars de chaque membre. Avec 2 000 dollars en poche, la jeune femme et ses amis se retrouvent au supermarché, remplissent les chariots de denrées et de produits utiles, et les livrent aux personnes concernées. « Pour ces familles, c'est Noël, sourit Lama. Si chaque personne fait un pas, à plusieurs, c'est un marathon de parcouru. »
Lama, qui confie rencontrer des difficultés pour recruter des bénévoles, invite les jeunes « à ne pas voir le bénévolat uniquement comme un fait à mentionner sur leurs rapports universitaires ou leur CV, mais comme une activité fort gratifiante que l'on fait d'abord pour soi, pour son propre développement, pour améliorer sa propre vie ». Et de confier : « Aider les autres me procure une grande satisfaction. Je m'aime lorsque j'arrive à rendre quelqu'un heureux. »
Alors qu'on lui fait remarquer qu'elle semble plus mature que la plupart des jeunes filles de son âge, Lama répond : « Mon travail m'a formée. Mes expériences auprès des prisonniers, des réfugiés, des toxicomanes m'ont construite », avant de conclure avec cette citation du dalaï-lama : « La planète n'a pas besoin de gens qui ont du succès. La planète a désespérément besoin de plus d'artisans de la paix, de guérisseurs, de conteurs et d'amateurs de toute sorte. Elle a besoin de gens qui vivent bien à leur place. Elle a besoin de gens avec du courage, prêts à rejoindre la lutte pour rendre le monde habitable et humain. »

Joanna Akiki, une jeune fille pas comme les autres



Lorsque j'ai fait sa connaissance, dans une salle de classe, en début d'année universitaire, elle avait dix-neuf ans et des rêves plein la tête, mais dans son regard flottait un nuage. Trois ans plus tard, à quelques jours de l'obtention de sa licence en journalisme, un beau soleil a chassé le brouillard qui voilait ses yeux. Joanna Akiki, qui se présente « comme une jeune Libanaise ayant vécu de nombreuses expériences, belles et mauvaises », n'est pas une fille comme les autres. À l'aube de sa vie, lorsque, contre toute attente, la maladie lui rend visite, elle brandit ce qu'elle maîtrise le plus : un courage désarmant, une foi inébranlable et un optimisme à toute épreuve.
Et c'est dans un sourire frais et confiant qu'elle revient sur cet épisode de sa vie : « J'étais en 1re année de droit, en pleine période d'examens. Je me sentais très fatiguée, mais je ne voulais pas ralentir le rythme. » Zélée, Joanna ignore la douleur au cou qui l'empêche de bouger sa main. « Je pensais que c'était dû au stress. Je me bourrais d'analgésiques pour pouvoir continuer. » Et même, lorsqu'avant un partiel, ses camarades, alertés par son visage enflé, lui demandent si elle va bien, elle leur répond : « Ce n'est pas le moment, finissons-en d'abord avec le test. » Mais le lendemain, ses traits tuméfiés sonnent l'alarme. Il fallait consulter sans délai.
Le diagnostic est finalement posé : Joanna souffre d'un lymphome lymphoblastique. La gravité du sujet n'affecte en rien la nature joyeuse de la journaliste en herbe qui poursuit sur le ton de la plaisanterie : « Ce qui m'a le plus frustrée, c'est que mes tests médicaux sont partis en France, tandis que moi je suis restée ici. » Et si elle a pleuré lorsque le médecin lui a parlé de la nécessité de commencer la chimiothérapie immédiatement – « Je ne voulais pas perdre mes cheveux ni prendre du retard dans mes études » –, Joanna a fait preuve, tout au long de son traitement, d'une grande force de caractère, une force qu'elle a puisée de sa mère, qui, indique-t-elle, « nous a appris, à ma sœur, à mon frère et à moi, à faire face ».
De ses multiples et longs séjours à l'hôpital, Joanna n'évoque ni la douleur, ni la peur, ni l'ennui ; par contre elle s'attarde sur les « gentilles infirmières » qui se sont occupées d'elle, sur les bénévoles qui lui ont rendu visite pour l'encourager et la divertir, et surtout sur ses nombreux échanges avec les autres patientes, toutes bien plus âgées qu'elle, et qu'elle soutient avec beaucoup de générosité. « Les gens ne savent pas comment se comporter face au cancer. Ils ont beaucoup d'interrogations : sur l'alimentation, sur le traitement, sur ses effets secondaires... J'essayais de partager avec eux ce que je savais... Ils ont peur de perdre leurs cheveux. Moi aussi au début. Mais il faut apprendre à relativiser. Finalement, ça n'a pas beaucoup d'importance », sourit-elle, fraîche et élégante dans sa belle robe printanière. La jeune patiente, qui « n'occupait sa chambre que lorsqu'elle avait vraiment mal », allait vers les autres malades, leur distribuait des sourires et des encouragements, et essayait de leur remonter le moral. « Je cherchais les mots pour ne pas les effrayer ni les décourager. »
Tourner le négatif en positif
« Lorsque j'avais mal, je pensais aux enfants malades qui, eux, souffraient sans comprendre ce qui leur arrivait », raconte Joanna. Et d'ajouter reconnaissante : « Ma mère restait avec moi à l'hôpital. Ses collègues l'ont bien soutenue. »
Lorsqu'elle retournait chez elle, entre deux séances de chimio, Joanna refusait de « vivre en malade ». « Je ne voulais pas m'imposer des limites. Si mon corps pouvait s'activer, il n'y a pas de raison que je l'en empêche. » Malgré la fatigue, elle se réveillait à 5h45 pour prendre le bus qui l'emmènera de Ajaltoun où elle vit à la faculté d'information, dans le caza du Metn, qu'elle a intégrée après son diagnostic. « J'y allais quotidiennement même si je n'arrivais pas toujours à terminer la journée. Il n'était pas question pour moi de manquer les cours. » Et grâce à sa détermination et au soutien de son entourage, Joanna a relevé le défi et a pu compléter sa licence en trois ans.
À la fac, « en général, tout le monde était gentil ». Un jour, Sandra Ayoub, une camarade que Joanna qualifie de « disciplinée, élégante et sympathique », l'aborde et lui demande si elle porte une perruque. « Elle l'a deviné, car elle aussi était malade, raconte Joanna. Et contrairement à moi, elle, elle parlait facilement de sa maladie. D'ailleurs, elle l'a fait pour nous deux. »
Joanna confie que la foi l'a aidée à faire face au cancer. Elle lui a également permis de donner du sens à ce qui en est dépourvu. « Je me suis dis qu'à travers cette expérience, la Sainte Vierge a voulu me faire comprendre que le journalisme, et non le droit, était ma voie et que, par ailleurs, j'avais une mission : faire preuve de courage et transmettre le message qu'il ne faut pas baisser les bras devant les coups de la vie, estime Joanna. Moi j'ai essayé et j'ai réussi. Il est possible de tourner le négatif en positif. »
Au mois de février, ses cheveux ont commencé à repousser. Encouragée par sa mère, Joanna enlève définitivement sa perruque. « Cela a coïncidé avec le premier jour du carême; c'est très symbolique pour moi », confie la jeune diplômée qui souhaite « contribuer à dénoncer les injustices et à aider les gens à comprendre ce qui arrive autour d'eux. » Et, revenant sur son choix de carrière, elle ajoute : « Des scènes de mon enfance m'ont marquée : mon père commençant ses journées à 6h avec le journal radio et les terminant en regardant les nouvelles du soir. »
Ses projets d'avenir ? Ambitieuse, Joanna entame à la prochaine rentrée un master, toujours à la faculté d'information. « Je tiens à remercier ma grande famille et tous ceux qui m'ont soutenue », insiste-elle.
Une belle histoire de courage, d'optimisme, de détermination. Une leçon de vie.

Patricia Eid, ou quand la passion donne des ailes

Portrait La jeune professeure adjointe en psychologie à la NDU veut contribuer à l'avancement des connaissances sur la violence conjugale au Liban.

Au moment où les jeunes cerveaux fuient le pays du Cèdre, Patricia Eid, elle, choisit d'y retourner avec, dans ses bagages, deux doctorats : un doctorat de recherche en psychologie et un autre en psychologie clinique décrochés en 2015 à l'Université du Québec à Montréal. « J'avais envie d'explorer le terrain libanais autant au niveau personnel qu'au niveau de la recherche », lance la brillante jeune femme en commentant son retour au pays qui l'a vue naître et qu'elle a quitté à l'âge de six ans. Réaliste, rationnelle et directe, la jeune psychologue ne tombe pas dans le sentimentalisme gratuit et insincère pour expliquer sa décision de s'éloigner du Canada où elle a vécu l'essentiel de sa vie et de retourner au Liban pour occuper un poste de professeure adjointe en psychologie à la faculté des sciences humaines de l'Université Notre-Dame de Louaizé (NDU). Et c'est donc loin des clichés et des phrases toutes faites qu'elle raconte, avec simplicité, comment, lorsque l'opportunité s'est présentée, quelques mois après l'obtention de ses diplômes de troisième cycle, elle n'a pas hésité à l'attraper et à intégrer ce poste qui lui permet de « mener des projets de recherche » et de « bonifier » son dossier.

Création d'une équipe de recherche
Passionnée, rigoureuse et intègre, la jeune professeure insiste dans son enseignement sur la compréhension de la méthodologie scientifique et l'importance du processus d'actualisation de la connaissance. « Les étudiants ont de la difficulté à comprendre que la connaissance est scientifiquement établie et qu'elle évolue », note-t-elle.
Parallèlement aux cours qu'elle dispense, l'enthousiaste chercheuse met en place, dès sa prise de fonction à la NDU en septembre 2015, une équipe de recherche rassemblant des étudiants motivés de premier cycle. Une riche et unique expérience qui donne aux jeunes universitaires l'occasion de travailler en équipe et d'apprendre les uns des autres, mais surtout qui leur offre la possibilité de « prendre part au processus d'acquisition de la connaissance » et de « mettre en pratique les concepts théoriques appris en classe » ; une expérience qu'ils n'auraient pas pu vivre autrement à ce stade de leur cheminement académique. Par ailleurs, et c'est d'une grande importance pour le reste de leur parcours, cette initiative valorise les étudiants, leurs efforts et leur travail puisque, d'un côté, leur professeure sait reconnaître les qualités individuelles et les compétences de chacun d'eux et en tirer parti pour l'avancement des travaux de recherche et de l'autre, elle met ses jeunes assistants en avant, que ce soit au sein de leur faculté ou dans d'importantes manifestations scientifiques hors campus telles que le congrès annuel de l'Association libanaise pour l'avancement des sciences (LAAS) où ils ont exposé leurs travaux de recherche.
Le premier projet que la jeune chercheuse libano-canadienne et son équipe ont entamé l'année passée est une recherche sur les attitudes face à la violence conjugale menée auprès de la population générale au Liban. « Nous avons développé un questionnaire qui mesure l'opinion ou l'acceptation de la population générale face à la violence conjugale ou entre partenaires intimes, dans différents groupes, cultures, personnalités. » Cette première étape est suivie par un travail rigoureux sur les variables, psychologiques au niveau de la personnalité ou liées aux milieux, associées à chaque opinion exprimée. « Les premiers résultats montrent que la violence ne dépend pas de la religion mais des niveaux de religiosité et de spiritualité », révèle la dynamique chercheuse dont les centres d'intérêt en matière de recherche tournent autour de trois axes. « D'abord, je m'intéresse aux dynamiques de communication conjugale ainsi qu'à la violence entre partenaires intimes, précise-t-elle. Ensuite, je m'intéresse à l'alexithymie, la difficulté à identifier et à exprimer ses états émotionnels, et son impact sur les perceptions sociales... Enfin, je m'intéresse à l'adaptation d'outils psychométriques dans des contextes cliniques (résilience, traumatismes, etc.) ou des contextes plus larges (alexithymie). »

Un cabinet à Jounieh
La jeune psychologue confie avoir choisi ce domaine, où « la finalité est la personne humaine », car elle voulait « travailler avec les gens, être en contact avec eux et faire en sorte d'améliorer la qualité de leur vie ». Riche de son expérience canadienne en psychologie clinique, elle a ouvert, parallèlement à ses fonctions à la NDU, un cabinet de psychologie à Jounieh où elle reçoit des adultes et des couples en quête de mieux-être. À une question sur la particularité des troubles, inadaptations ou autres difficultés existants au Liban, elle répond : « Je vais retrouver les mêmes problèmes qu'à Montréal. Partout, il y a des dépressions, des suicides, des problèmes entre parents et enfants... Par contre, la façon de les traiter, elle, diffère légèrement car nous ne pouvons pas considérer uniquement l'individu, nous devons également considérer sa famille, sa mentalité, sa culture. »


Article paru sur le site de Talents Libanais : Roula Azar Douglas, écrire pour briser le silence

Roula Azar Douglas est écrivain, journaliste à L’Orient-Le Jour, enseignante à l’Université libanaise et activiste pour les droits des femmes.  Talents Libanais l’a rencontrée à quelques jours de sa participation prévue  aux Journées du Liban à Paris*, prévue le samedi 19 mars  à 15h30.

Vous présenterez à Paris votre livre « Chez nous, c’était le silence » publié aux éditions Dergham en 2008 et traduit en arabe en 2009. Pouvez-vous nous en parler ?
Ce livre, je l’ai écrit d’une manière spontanée si on peut dire. C’est ce qui explique en partie sa forme linéaire, non retouchée. Inspiré d’une histoire vraie, il puise son essence dans le vécu d’une femme que j’ai connue à Beyrouth il y a des années. Pourquoi vouloir raconter le calvaire de cette mère de famille libanaise mariée à un homme violent et manipulateur ? Pour dénoncer la violence conjugale évidemment. Mais également pour lui rendre, en quelque sorte, hommage.
Dans « Chez nous, c’était le silence », le lecteur entrevoit une partie de la vie de Ghada (l’héroïne) mariée très jeune à un pervers narcissique et en toile de fond, des bribes de la guerre civile qui faisait rage à cette époque au pays du Cèdre .
Pour moi, la forme est également très importante. Pour décrire et mettre en lumière l’horreur de la violence domestique, j’ai opté pour un style simple, des mots courants et concis, une écriture journalistique.

Vous précisez que dans « Chez nous, c’était le silence » se mêlent réalité et fiction. Quelle part allouez-vous dans votre ouvrage à la fiction et pourquoi ?
Et imaginant, dans la seconde partie du livre, une autre issue à la vie de Ghada, j’ai voulu donner aux femmes qui vivent cette violence, l’envie de se battre, de se prendre en main, de changer leur destin. Dans des sociétés comme les nôtres où les gens, en grande partie, croient ferme que les moindres détails de leurs quotidiens émanent de la volonté de Dieu, il est important de dire aux victimes des violences conjugales qu’elles peuvent reconquérir leur vie.

Votre deuxième roman est prévu pour 2016. Pourquoi écrivez-vous ? 
L’écriture m’est vitale. Écrire me permet d’entrer en contact avec mon moi le plus profond, de le cerner et de le comprendre. C’est ma manière de réfléchir et de vivre ma vie. Mais au-delà de l’introspection, c’est à travers l’écriture que je me situe par rapport au monde. Par ailleurs, j’écris pour être lue. J’écris pour toucher, pour provoquer une réflexion, pour contribuer au changement… Ainsi, je prends ma plume pour défendre les valeurs de la dignité humaine, de la démocratie, de l’égalité, de la liberté, de la tolérance et de la justice sociale.
En tant que journaliste, responsable d’une page consacrée à l’actualité universitaire au Liban, j’écris pour informer mais également j’écris pour encourager, pour soutenir, pour mettre en lumière des jeunes qui ont du talent, qui prennent des responsabilités, qui s’engagent dans des actions sociales ou culturelles.
* Les Journées du Liban sont prévues du 18 au 20 mars, à Paris, au Halle des Blancs manteaux, 48 rue du Temple.

La Medical Student Association, ou quand les étudiants en médecine tendent la main à la communauté

Nadia Haddad, la dynamique présidente de la MSA.
Un asile pour personnes âgées. Plus de deux cents résidents. Des femmes et des hommes dont certains ont le triste sentiment de vivre le temps qui leur reste en marge de la vie. Et, de l'autre côté, de jeunes étudiants en médecine, au début du chemin, qui ont décidé de libérer un moment dans leur emploi du temps très chargé pour aller vers les autres, tendre la main aux plus faibles et leur donner un peu de chaleur et d'humanité. « Au sein de la Medical Student Association de la LAU (MSA), nous avons créé cette année un nouveau comité, le comité des affaires extérieures, dont l'objectif est d'agir concrètement au sein de la société, de changer les choses, de contribuer à un monde meilleur et de partager avec les membres de notre communauté une partie des fonds générés par les différentes activités que nous organisons », explique Nadia Haddad, étudiante en 5e année de médecine (Med 2) et dynamique présidente de la MSA depuis octobre 2015. Les futurs médecins ont ainsi visité, au mois de décembre, une maison de retraite à Hboub, les bras chargés de pâtisseries payées avec les bénéfices de la fête de Halloween que le comité social de la MSA a organisée au mois de novembre. « On leur a apporté des gâteaux et du jus. Mais le plus important, c'est le temps que nous avons passé avec eux », poursuit Nadia avec enthousiasme. Les aînés et les jeunes étudiants ont dansé et chanté ensemble. Et, pendant quelques heures, la distance générationnelle et toutes les différences se sont effacées.
Dans le même esprit, seize familles dans le besoin ont reçu la visite des étudiants chargés de paniers de denrées, de couvertures, d'appareils de chauffage. « Nous avions également offert des cadeaux aux enfants. C'était durant les fêtes de fin d'année et nous voulions répandre l'esprit de Noël », précise Nadia. Une initiative qui s'est concrétisée grâce aux fonds collectés lors du concert de Noël « qui a rassemblé 250 personnes dont le président de la LAU et le doyen de la faculté de médecine ». Également organisé par le comité social, le concert fut animé avec joie par des étudiants, résidents et médecins qui ont des talents artistiques : danse, chant, maîtrise d'un instrument de musique... « Nous avons choisi d'aider des familles de Byblos. Il était naturel pour nous de s'intéresser d'abord aux plus proches pour éventuellement aller plus loin plus tard », ajoute Nadia. Engagée et généreuse, la jeune étudiante a consacré une grande partie de son temps et de son énergie à faire de la MSA ce qu'elle est devenue aujourd'hui. « Donner sans rien attendre en retour. C'est ce que moi et tous les membres du conseil avons essayé de faire cette année. Et le sentiment est merveilleux », confie-t-elle.


Construire des médecins responsables
La MSA, établie à la LAU en 2011, rassemble aujourd'hui quelque 200 étudiants en médecine. « L'objectif de notre association, qui est une section de l'American Medical Student Association (AMSA), est de former des médecins responsables. Des médecins qui veulent innover, changer, améliorer et soutenir leur communauté », souligne Nadia. Et d'insister : « Nous n'attendrons pas de devenir médecins pour contribuer au changement. »
La MSA est dirigée par un conseil composé de onze membres, des étudiants en 4e et 5e année de médecine. Elle est composée de huit comités, dont le comité social et celui des affaires extérieures. « Le comité du Diagnostic Medical Day est responsable de l'organisation de la Journée du diagnostic médical. Il s'agit d'une compétition annuelle limitée à l'origine aux étudiants de la LAU ; nous l'avons ouverte cette année aux étudiants en médecine des autres universités libanaises. Lors de ce concours, les étudiants, répartis en groupes, doivent établir un diagnostic dans le cas d'un patient virtuel avec lequel ils communiquent via Skype. Chacun des groupes présentera les résultats de ses analyses devant un jury qui sélectionnera le groupe lauréat. Les prix que nous offrons sont respectivement de 1 200, 800 et 400 dollars américains », indique Nadia.
Le comité du Medical Awareness, lui, a pour objectif de sensibiliser la population aux questions médicales. Les campagnes sont organisées sur le campus de la LAU. « Lors de la dernière journée de sensibilisation, organisée au mois de novembre, nous avons accueilli 150 personnes. Nous avons mesuré le taux de glucose dans le sang et la tension artérielle des visiteurs, et leur avons expliqué tout sur le diabète, les traitements et les risques qui y sont liés », souligne Nadia.
Par ailleurs, la communication avec le public est très importante pour la MSA. « Notre comité média est très actif sur les réseaux sociaux. C'est lui également qui crée nos affiches », souligne Nadia, qui ajoute : « Sans oublier le comité MedNashra en charge de notre journal médical qui rencontre un grand succès en ligne. »
Après des études en médecine générale à la LAU, « la plupart des étudiants ambitionnent de se spécialiser aux États-Unis », confie la jeune présidente. Mais pour être acceptés dans les facultés américaines, ces jeunes médecins doivent réussir le très difficile United States Medical Licensing Examination (USMLE). « D'où l'importance de notre comité du USMLE qui organise des sessions de préparation ouvertes aux étudiants. »
Dernière activité réussie de cette très énergique association : le dîner de gala, événement -phare pour la collecte des fonds, organisé par le comité de financement de la MSA le 19 février au Four Seaons Hotel à Beyrouth et qui a rassemblé une foule d'étudiants en médecine, de professeurs, de membres du personnel universitaire, de résidents et de médecins. « Ils sont tous venus pour soutenir l'École de médecine et applaudir la MSA pour ses activités au cours de cette année. Cette magnifique soirée servira, entre autres, à venir en aide à de petits orphelins », ajoute Nadia. Et de conclure : « La MSA m'a changée. Elle a fait sortir le meilleur de moi-même. J'espère que les étudiants qui prendront la relève l'année prochaine garderont le flambeau allumé. »


Nadia Haddad, la dynamique présidente de la MSA, lors du dîner de gala de l’association organisé à l’hôtel Four Seasons à Beyrouth le 19 février.

Dynamisme et vitalité au département de philosophie de l’Institut des lettres orientales de l’USJ

Le Dr Nadine Abbas
« La philosophie, c'est ce qui ramène au centre où l'homme devient lui-même en s'insérant dans la réalité », estime le philosophe et psychiatre germano-suisse Karl Jaspers. Pourtant, pour de nombreux étudiants, le terme philosophie évoque un univers abstrait, impénétrable, dont ils ne voient pas l'utilité. Une fausse conception que le Dr Nadine Abbas, chef de département de philosophie rattaché à l'Institut des lettres orientales de l'USJ et responsable du Centre Louis Pouzet d'étude des civilisations anciennes et médiévales, corrige : « La philosophie est liée à notre vie, à notre quotidien. C'est une méthode de pensée, une logique. Peu importe son domaine de spécialisation, toute personne gagnerait à prendre un ou deux cours de philosophie. Cela l'aidera à se construire et à développer son esprit critique. »

Des bourses d'études pour attirer les jeunes
Établi il y a plus de cinq ans pour combler un besoin chez les jésuites arabophones pour lesquels il est plus facile d'étudier la philosophie en langue arabe tout en perfectionnant leurs compétences en français et anglais, le département de philosophie rattaché à l'Institut des lettres orientales est ouvert à tous les bacheliers et offre un parcours complet aux étudiants qui souhaitent se spécialiser dans ce domaine : licence, master et doctorat. « Le département se distingue par l'enseignement de la philosophie en langue arabe. Mais également par l'enseignement de la civilisation arabe », précise le Dr Abbas qui travaille actuellement sur un projet collectif d'édition critique de textes inédits de philosophes arabes chrétiens.
« Le département offrira dans les mois à venir deux bourses d'études qui permettront aux étudiants sélectionnés d'intégrer le programme de licence de philosophie », poursuit l'enseignante-chercheuse. Une initiative qui vise à attirer les jeunes vers cette filière. Le concours, prévu le 16 avril, est ouvert aux élèves des classes terminales dans toutes les régions et tous les collèges, privés et publics, à travers le Liban. Basées sur le programme scolaire de philosophie, les épreuves — corrigées à l'aveugle — permettent d'évaluer « la méthodologie de travail des candidats, leur capacité de raisonnement et leur maîtrise de la langue arabe ». La date limite pour présenter sa candidature est fixée au 13 avril. Ce n'est pas la première fois que le département de philosophie soutient financièrement les étudiants méritants qui désirent poursuivre des études dans ce domaine. « Il y a deux ans, nous avons attribué cinq bourses à des étudiants et des étudiantes choisis dans différentes écoles. Ils sont actuellement en deuxième année », confie le Dr Abbas.
Contrairement à la pensée commune qui associe l'enseignement de la philosophie aux méthodes d'apprentissage classiques lourdes et rigides, les nouvelles technologies ont fait leur entrée dans les salles de classe au département de philosophie où les échanges interactifs et les visites ponctuelles d'enseignants invités ne sont pas rares. « Par ailleurs, nous avons remanié et réformé les programmes d'études », ajoute le Dr Abbas qui précise qu'au terme de la licence, les jeunes diplômés peuvent, s'ils le désirent, poursuivre une quatrième année afin d'obtenir une licence d'enseignement ou compléter un master. « À l'opposé de ce que les gens pensent, les débouchés en philosophie sont multiples », avance-t-elle. Et de préciser : « Dans l'enseignement, dans la recherche. Et il n'est pas rare que des diplômés en philosophie se dirigent vers le journalisme. »

Ateliers et conférences publiques
« Nous suivons nos diplômés longtemps après leur entrée dans le monde professionnel en leur offrant des courtes formations qui répondent à leurs besoins », indique le Dr Abbas. À partir du 20 février et pour quatre samedis consécutifs, le département de philosophie organise un atelier de perfectionnement pour accompagner les enseignants, jeunes et expérimentés, diplômés ou non de l'USJ, dans leurs pratiques d'enseignement. « Cette formation est animée par deux enseignants forts d'une longue expérience dans le domaine : les Drs Toni Kahwaji et Efrem Baalbaki. Elle est complète et couvre tout ce qui touche à l'enseignement de la philosophie, des nouvelles méthodes d'apprentissage à l'évaluation, en passant par la programmation des cours et la transmission des infos », souligne le Dr Abbas.
Par ailleurs, afin de mieux déchiffrer et mettre en lumière des concepts et des raisonnements philosophiques, le département organise chaque année un cycle de conférences scientifiques qu'il confie à des spécialistes et des chercheurs confirmés. « Ces conférences sont ouvertes aux enseignants, aux étudiants et au grand public. Nous choisissons toujours des sujets en lien avec l'actualité. L'intégralité des rencontres est publiée dans nos annales », précise la jeune directrice qui conclut en évoquant un article de vulgarisation philosophique sur le thème de la tristesse qu'elle a récemment publié dans le magazine en ligne al-Machrek et qui a attiré un large public parmi les jeunes internautes : « Pour raccourcir la distance entre les gens et la philosophie, il faut rendre cette dernière accessible à tous. »

Joseph Jabbra : Nous contribuons activement à la construction de la nation

ENTRETIEN
Depuis qu'il en a pris les rênes en 2004, l'Université libano-américaine (LAU) s'est développée de façon exponentielle. Accréditations des facultés, nouveaux programmes académiques, un campus à New York et présence accrue dans la société. Rencontre avec le Dr Joseph G. Jabbra.

Propos recueillis par Roula Azar Douglas | OLJ19/02/2016

Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de votre parcours professionnel qui a précédé votre nomination à la tête de la LAU ?
Je suis né à Ferzol, dans la Békaa. Après un baccalauréat en philosophie du Collège oriental et un diplôme en droit de l'USJ, suivant les recommandations de mes parents, je suis parti aux États-Unis où j'avais de la famille. Je ne connaissais pas un seul mot d'anglais à l'époque. J'ai réussi, à la fin du premier semestre, à décrocher une bourse doctorale qui m'a permis de compléter un PhD en sciences politiques à la Catholic University of America à Washington DC. J'ai voulu retourner au Liban, mais la guerre y faisait rage. J'ai alors accepté une offre au Canada et je suis devenu vice-président pour les affaires académiques et la recherche à la St. Mary's University à Halifax. Puis, de 1990 à 2004, j'ai servi comme vice-président pour les affaires académiques à la Loyola Marymount University à Los Angeles. Mais au fond de ma tête, j'ai toujours caressé l'idée de retourner au Liban.

Qu'est-ce qui, à votre avis, distingue la LAU des autres universités ?
Notre mission est succincte, mais puissante, forte dans sa simplicité. C'est l'excellence. Nous nous engageons à l'excellence, non seulement académique, mais l'excellence dans tout ce que nous entreprenons. Par ailleurs, nous sommes une institution centrée sur les étudiants. Nous prenons soin d'eux. S'ils trébuchent, nous leur tendons la main. Nous les aidons à se remettre sur pieds. Nous sommes ici pour donner le savoir. Pour élargir l'horizon du savoir. Avec nos étudiants, ce que nous visons, c'est l'éducation de toute la personne, pas seulement l'excellence académique. Nous leur fournissons la possibilité de grandir psychologiquement. Et, très important, nous croyons fermement que nous avons un rôle à jouer auprès de la société. Nous voulons aider la société à résoudre ses problèmes, à relever ses défis.

Comment concrétisez-vous votre mission auprès de la société ?
D'abord, en acceptant sa jeunesse. Nous estimons que toute personne qualifiée doit avoir la possibilité d'intégrer la LAU. Nous consacrons 25 millions de dollars aux aides financières allouées aux étudiants. Par ailleurs, nous nous intéressons aux élèves brillants dans les écoles publiques. Nous avons obtenu de l'USAid (le Fonds américain pour le développement international) 18 millions de dollars pour couvrir les frais de scolarité, les logements et repas, les ordinateurs, les livres de 260 étudiants (actuellement inscrits à ce programme). Nous répondons également aux besoins de la société à travers la formation continue que nous offrons notamment au Nord, à Zahlé, à Beyrouth.
Finalement, nous contribuons activement à la construction de la nation. L'éducation civique revêt une grande importance pour nous. À titre d'exemple, il y a environ neuf ans, lors des élections estudiantines, il y a eu des échauffourées. Nous avons décidé de transformer cette situation en un moment d'enseignement. Après avoir informé les étudiants impliqués dans ces actes de leur expulsion, nous avons donné une deuxième chance à l'étudiant qui remplit ces trois conditions : suivre des ateliers sur la résolution pacifique des conflits, sur l'acceptation des différences, sur le contrôle de la colère, effectuer 150 heures de travaux communautaires dans une région ayant une couleur confessionnelle différente de la sienne, et réussir un examen. 19 des 20 étudiants ont ainsi réintégré l'université. Nous n'avons plus eu aucun problème de la sorte tout en sachant que nos étudiants viennent de tous les horizons, qu'ils appartiennent à des religions différentes et ont des pensées politiques divergentes.

Quelles sont parmi les dernières réalisations de la LAU celles qui méritent d'être soulignées ?
En premier, les accréditations. La reconnaissance de l'université comme une institution américaine qui mérite l'accréditation l'a catapultée sur le devant de la scène. La LAU est aujourd'hui accréditée par la New England Association of Schools and Colleges (Neasc). L'École de génie est accréditée par l'Accreditation Board for Engineering and Technology (Abet), la meilleure agence d'accréditation au monde. L'École de pharmacie est la seule au Liban à être accréditée par l'Accreditation Council for Pharmacy Education (Acpe). L'École de sciences infirmières est accréditée par la Collegiate Commission on Nursing Education. Mais trois de nos plus importantes réalisations sont la création de l'École de médecine, l'achat de l'hôpital (Rizk) et la création de l'École des sciences infirmières. Sans oublier l'établissement, en 2013, de notre campus à New York.


Pouvez-vous nous parler de ce nouveau campus au centre de Manhattan ?
Je tiens à rappeler que la LAU est une institution américaine et non une institution au style américain. Il était très important pour nous d'avoir un siège social et un centre universitaire au cœur de Manhattan, à deux blocs des Nations unies. C'est un pont que nous lançons entre les États-Unis et non seulement le Liban, mais toute la région. Et comme je l'ai signalé lors de son inauguration, ce campus est un cadeau présenté par le Liban en retour de celui offert par Sarah Lanman Huntington Smith en 1835 lorsqu'elle a fondé la première école pour filles dans la région (qui est devenue la LAU). Nous y offrons des cours variés, dont des cours d'arabe. Et dans le cadre des Global Classrooms LAU Model United Nations, deux fois pas an, nos étudiants y vont pour apprendre à de jeunes collégiens et lycéens internationaux ce qu'est la diplomatie, comment accepter les différences, les méthodes de négociation... Des valeurs que nous leur inculquons.

Pour conclure, que fait la LAU pour aider ses étudiants à intégrer le marché du travail ?
Nous leur offrons, à travers le Bureau des affaires estudiantines, la possibilité de rencontrer des conseillers, de suivre une séance d'orientation professionnelle, d'apprendre à rédiger leur CV, à mener des entretiens d'embauche... Par ailleurs, nous organisons un Salon de l'emploi annuel auquel participent environ 80 entreprises, et programmons une série de conférences sur des sujets relatifs à l'emploi. Nous avons par ailleurs un réseau très actif d'anciens étudiants qui soutiennent les diplômés dans leur recherche d'emploi.

Des étudiants en pharmacie sensibilisent les réfugiés à l’importance de la vaccination

Samar el-Hage lors de l’évaluation des besoins de vaccination des patients.
Développer chez les étudiants les compétences nécessaires pour interagir avec les membres de la communauté, tisser des liens de confiance avec ces derniers et venir en aide aux familles en situation de précarité ; voilà quelques-uns des objectifs du partenariat qui lie l'école de pharmacie de la LAU à la Fondation Makhzoumi. Dans ce cadre et suivant une approche proactive, quatre étudiants inscrits au programme de doctorat de premier cycle en pharmacie (Pharma D) de la LAU – Linda Khadra, Samar el-Hage, Afeef Ibrahim et Karl Awaida – ont animé, au mois de janvier, une session de sensibilisation sur la vaccination à l'intention des réfugiés syriens, au centre de la Fondation Makhzoumi à Beyrouth. Une trentaine de mères de famille, quelques pères et une cinquantaine d'enfants ont bénéficié de cette activité.
« Il était important de mener cette action d'autant que la plupart des refugiés ne sont pas vaccinés et ne respectent pas le calendrier vaccinal de leurs enfants. En tant que pharmaciens, professionnels de la santé, nous avons voulu nous assurer que les parents réalisent à quel point la vaccination est cruciale et qu'ils comprennent son rôle dans la prévention de certaines maladies pouvant mener aux épidémies et à la mort », explique l'une des étudiantes, Samar el-Hage, 23 ans. Dans un langage simple, accessible au public présent et avec beaucoup d'enthousiasme, les jeunes étudiants en pharmacie ont expliqué aux parents et à leurs petits le rôle et l'importance de la vaccination. « Nous avions affaire à des gens de milieux défavorisés. Pour leur rendre l'information accessible, il fallait leur expliquer l'importance de la vaccination avec des termes courants », souligne Samar. Le public a bien interagi avec les étudiants qui ont établi pour chaque personne présente un bilan complet afin d'évaluer ses besoins de vaccination. « Nous leur avons également indiqué les lieux où les vaccins sont offerts gratuitement par le ministère de la Santé », ajoute Samar.

Interactions et enrichissement mutuel
Outre son impact sur le public cible, cette action est également très bénéfique pour les étudiants. « Le contact avec les réfugiés a constitué une expérience très enrichissante pour moi », confie la jeune doctorante.
« Ces expériences sont indispensables, surtout au Liban où les pharmaciens sont sur la ligne de front et en constante interaction avec les patients qui, souvent, ne peuvent se permettre de consulter un médecin », estime Ghada el-Khoury, professeure adjointe d'enseignement clinique à la LAU. Et de conclure : « Notre nouvelle collaboration avec la Fondation Makhzoumi est extrêmement enrichissante et pour la communauté et pour nos étudiants. »

« MedNashra », ou l’actualité médicale à la portée de tous

Selfie avant le tournage.
Ils ont une flamme dans les yeux, et dans la bouche des mots tels que partage, population, sensibilisation. Dix jeunes étudiants en Med 1 et Med 2 (4e et 5e année de médecine) à l'Université libano-américaine (LAU), membres de la Medical Student Association (MSA), recherchent, documentent, écrivent, présentent, tournent, éditent et partagent sur le Web des journaux vidéo, de quelques minutes chacun, sur différents thèmes en lien avec l'actualité et les avancées médicales au Liban et dans le monde. Ces capsules informatives diffusées sur les réseaux sociaux rencontrent, depuis leur lancement il y a un an, un immense succès auprès des internautes avec un taux de visionnement moyen qui dépasse les 35 000 vues.
« Il fallait trouver un moyen d'atteindre les gens et de les amener à interagir avec nous. Le magazine informatif Medizine que la MSA a réalisé dans le passé n'était pas lu. C'est ainsi que MedNashra est né », explique Naji Abou Ali, directeur du comité MedNashra en charge du journal médical. En s'appuyant uniquement sur les ressources qu'ils ont, les dynamiques étudiants ont réussi à relever le défi. Rana Asmar, chargée de la présentation du journal, explique : « Un groupe d'étudiants s'occupe de la collecte de l'info, un autre travaille sur les médias – photos, courtes vidéos, graphes ou autres illustrations à intégrer au journal – et un troisième formé par Naji et moi se consacre à la rédaction du script de manière à rendre l'information accessible à tous. » Les étudiants en médecine se retrouvent donc dans les coulisses, devant et derrière la caméra, faisant de ce journal un produit purement étudiant.

Grande écoute, partages et interactions
Intéressants, variés, documentés et à la pointe de l'actualité, les thèmes présentés par les médecins en devenir attirent des dizaines de milliers de spectateurs, occasionnent des centaines de partages et génèrent de très nombreuses interactions. Parmi les sujets qu'ils ont déjà évoqué : dispositif implanté dans l'estomac pour perdre du poids ; prothèses artificiels contrôlées par la pensée ; opération cardiaque sans ouvrir la poitrine, une nouvelle chirurgie réussie au Liban ; transplantation de pancréas bio-artificiel pour le traitement du diabète, le bonheur et le cerveau... Des sujets que les jeunes étudiants ont abordés, en arabe parlé (dialecte libanais), d'une manière simple et compréhensible par tous. « Nous recevons beaucoup de réactions de la part des internautes. Les gens aiment, partagent, commentent et identifient des amis », affirme Nadia Haddad, présidente de la MSA, qui précise : « MedNashra est la face visible de la MSA. La partie que les gens peuvent voir. » Et de conclure : « Nous essayons à travers la MSA de faire une différence, d'avoir un impact positif sur la communauté. »
Pour visionner les vidéos, visiter la page de la MSA : https ://www.facebook.com/LAUMSA.official/ ? fref=ts.