La science de Talal Darjani, « entre Meyerhold et Stanislavski »

Maria-Christie Bakhos auprès de Talal Darjani, au Salon du livre arabe.
« Peut-on dire d'un journaliste, ou d'un chirurgien par exemple, qu'il est bon pour le Liban ? Non. Même chose pour le cinéma, il n'y a pas de films bons pour le Liban. Il n'y a que de bonnes ou de mauvaises productions », estime Maria-Christie Bakhos, professeure titularisée à l'Institut des beaux-arts de l'UL, qui vient de signer aux éditions Dar al-Farabi un ouvrage en deux volumes intitulé Talal Darjani : la dialectique de Stanislavski et de Meyerhold.
Il s'agit d'une étude scientifique de longue haleine à laquelle la jeune chercheuse s'est intéressée alors qu'elle était encore en licence, et qui a constitué l'essentiel de sa thèse de doctorat soutenue en 2012 à l'Usek. Travail qui lui a valu la mention très honorable avec les félicitations du jury.

Mettant en lumière la vision innovante et révolutionnaire du professeur Talal Darjani qui, dans ses œuvres dramatiques, a fusionné avec succès les approches de deux pionniers de la pédagogie théâtrale, Stanislavski et Meyerhold, longtemps considérés comme opposés, Bakhos décode dans son ouvrage l'expérience réussie du chercheur et metteur en scène libanais. Elle montre et explique l'évolution de son style en une nouvelle école susceptible de raviver et de révolutionner le théâtre libanais et arabe. « Joindre Stanislavski et Meyerhold est non seulement possible, c'est également très avantageux, avance-t-elle. L'approche conçue par le Pr Darjani permet de trouver des solutions à de nombreux problèmes auxquels est confronté un metteur en scène et qu'il ne peut pas résoudre en suivant uniquement l'une des méthodes précitées. » Et d'insister : « J'ai eu la chance de travailler avec le professeur Darjani en tant qu'actrice au début, puis comme assistante à la mise en scène par la suite. Je trouve que c'est de mon devoir de transmettre ce que j'ai expérimenté avec ce grand metteur en scène de calibre international qui a choisi de travailler au Liban. »

Une autre particularité du professeur Darjani, selon la chercheuse, est qu'il s'est intéressé aux œuvres de grands auteurs libanais. « Il s'est particulièrement investi dans la théâtralisation de la littérature libanaise, que ce soit à l'université ou dans des spectacles ouverts au public. Il a travaillé Gibran Khalil Gibran, Maroun Abboud, Youssef Habchi el-Achkar, Amin Maalouf, Fouad Kanaan et Mikhaïl Naïmeh. De grands auteurs libanais qui sont absents de nos chaînes de télévision », dénonce-t-elle.

Le théâtre comme outil de changementLa passion de Maria-Christie Bakhos pour le théâtre remonte à loin. Elle l'a poussée à explorer une grande partie de ce qui a été écrit sur le théâtre, que ce soit en arabe, en français ou en anglais. Complet, concret et pratique, son ouvrage représente un livre de références pour les spécialistes et les étudiants en art dramatique. « Il traite la réalisation, la direction des acteurs, la mise en scène, la scénographie, la dramaturgie », poursuit Mme Bakhos. Son étude peut également être utile au grand public, puisqu'elle lui offre les clés pour mieux appréhender les œuvres théâtrales.

Parlant des difficultés qu'elle a rencontrées lors de son travail de recherche, la jeune chercheuse évoque le manque de références pratiques sur le sujet. D'où son choix de rédiger sa thèse en langue arabe.
Maria-Christie Bakhos, qui travaille actuellement sur une autre recherche en lien avec les arts du spectacle, le goût artistique du public, ainsi que le rapport entre le créateur de l'œuvre et le récipiendaire, souligne le grand rôle que peut jouer la littérature ou le théâtre en particulier dans la transformation des sociétés. « Si on regarde le passé, on trouve que des civilisations entières ont été établies, des valeurs transformées, des révolutions complétées et des concepts ancrés dans la société grâce à la littérature et, plus particulièrement, au théâtre », indique-t-elle. Et de conclure avec amertume, en dénonçant le traitement souvent superficiel de thèmes sociaux importés, étrangers à nos sociétés : « Au Liban, nous avons un grand problème : à l'exception, bien sûr, de quelques grands réalisateurs, nos œuvres dramatiques, que ce soit au cinéma, à la télévision ou au théâtre, ne traitent pas les sujets tabous, les vraies problématiques, ni ce dont souffrent vraiment nos sociétés. »

Aucun commentaire: